Après son court-métrage réalisé pour la plate-forme « 3e Scène » de l’Opéra National de Paris, Clément Cogitore retrouve Les Indes galantes de Rameau et le Krump, sur scène cette fois-ci, pour une mise en scène moderne et inspirée, mais également respectueuse, du chef-d’œuvre baroque.
Opéra-ballet composé en français, Les Indes galantes se déroule à peu près n’importe où, mais ailleurs : les « Indes » fantasmées de Rameau sont à la fois la Chine, l’Inde, la Turquie, l’Amérique du Sud ou la Perse. Cela a l’avantage d’offrir une matière tout à fait modelable pour le metteur en scène. Sans pour autant casser les conventions de l’opéra (qui ont pourtant maintenant l’habitude d’être triturées), Cogitore offre à la scène quelques échos contemporains. Si les costumes, en particulier ceux des ténors, respectent les codes de la dramaturgie originale exotisante, le metteur en scène s’amuse à convoquer des éléments plus anachroniques, comme ces soldats devenus des CRS, qui répriment un chœur dont les costumes renvoient à l’univers des banlieues. Se mélangent alors l’esthétique des portraits guerriers du XVIIIe siècle et le naturalisme des images médiatiques quotidiennes de violences urbaines. Un jeu visuel que travaillait déjà Cogitore, artiste polymorphe, dans ses œuvres photographiques (Le Chevalier Noir, 2012).
Los Angeles, les Indes
Si les spécialistes d’art lyrique salueront certainement les performances – impeccables – de la soprano Sabine Devieilhe, du baryton Edwn Crossely-Mercer ou du ténor Stanislas de Berbeyrac, les néophytes (et les autres aussi) apprécieront la virtuosité des scènes de ballet, évidemment au cœur de ce spectacle, continuation du film réalisé par Cogitore pour la 3e Scène. Elles sont donc composées de krump, de voguing et d’une variété de danses hip-hop. Le Krump est cette danse née dans le Los Angeles pauvre des années 2000 – essentiellement dans les communautés noires, déjà très touchées par les émeutes de 1992 – en réponse non violente aux répressions policières. Bien évidemment, cette narration est au cœur du dispositif de mise en scène de Clément Cogitore, et fait des passages dansés – chorégraphiés avec brio par Bintou Dembélé – non plus seulement des séquences éblouissantes (et celle sur Les Sauvages, scène musicale la plus connue de l’œuvre de Rameau l’est particulièrement), mais dotées d’un vrai discours – ou en tout cas d’un écho contemporain fort, en particulier dans la perspective du mouvement Black Lives Matter.
Gesamtkunstwerk
Ces Indes galantes sont peut-être un peu sages dans les passages non dansés, malgré quelques idées de scénographie, comme cet immense robot d’assemblage descendant des cintres et se mouvant avec la musique, qui ne sont pas sans rappeler les robots industriels du défilé Printemps/Été 1999 d’Alexander McQueen. Néanmoins, il reste un spectacle très accessible pour les non-spécialistes d’opéra, sans manquer d’exigence pour les autres. Un spectacle qui brille aussi par le mélange des arts : certaines scènes sont essentiellement photogéniques, d’autres travaillent le mouvement ou, avec la présence audacieuse d’un écran vidéo servant également de projecteur lumineux pour éclairer la scène, rappellent le travail vidéo de Clément Cogitore. Il fallait bien un artiste aussi pluriel pour remettre au goût du jour la définition wagnérienne du Gesamtkunstwerk, « l’œuvre d’art totale »…