Conférence cinéma de genre – Journée de la Création
« La narration se fait par l’image »
Mardi 18 juin 2019, l’ARP (société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs) a organisé sa seconde Journée de la Création. Une productrice, un directeur des programmes et trois réalisateurs ont débattu autour du cinéma de genre. Compte rendu.
Un « plaisir coupable ». C’est par cette formule maintes fois reprise pour qualifier le film de genre que le metteur en scène Alexandre Aja (Haute Tension, Piranha 3D) évoque ses souvenirs d’enfant devant des histoires au pouvoir immersif puissant, qui le plongeaient tout entier dans un univers différent. C’est ce qu’il entendait partout : un film de genre était forcément un peu raté, kitsch, au mieux charmant. Pourtant, Psychose d’Alfred Hitchcock lui prouvait à de multiples égards que ce cinéma n’avait pas seulement vocation à être pur divertissement.
Cette tension apparente entre le genre d’un film et sa qualité générale existe encore aujourd’hui dans les esprits. Les échanges un peu tendus entre Julia Ducournau (Grave, 2016) et Coralie Fargeat (Revenge, 2018) l’ont démontré. Même si la première a reçu un succès critique et commercial pour son film cannibale, elle a exprimé la difficulté à être considérée comme un auteur à part entière quand on réalise un film d’horreur. À ses yeux, son long-métrage ne fait pas peur, il propose en revanche une vision du monde dérangeante. Elle ne comprend d’ailleurs pas que Grave ait pu recevoir l’interdiction de diffusion aux moins de seize ans. Notre constat : l’analyse de son œuvre passe davantage par la réflexion qu’elle a voulu y installer que par les codes du genre horrifique qu’elle a utilisés. Ces derniers ont été réhabilités par Coralie Fargeat. Faisant partie de la création artistique à part entière, il n’y aurait aucune raison selon elle de les reléguer au second plan. En filigrane de la table ronde, deux visions distinctes ont ainsi émergé : l’acception du genre au sein d’un film comme simple outil créatif (Julia Ducournau) ou véritable sujet (Coralie Fargeat). De quoi nous questionner à notre tour : quelle place accorder au genre d’une œuvre ?
Mais au fil des échanges, le véritable enjeu de la table ronde s’est finalement dessiné : comprendre les raisons pour lesquelles le cinéma de genre dans sa diversité est si difficile à faire exister en France. Alors même qu’on parle d’une renaissance de celui-ci depuis ces dernières années et qu’il est devenu un plaisir assumé, bien que le public et les critiques de cinéma citent avec enthousiasme les films de Cronenberg ou Parasite (Bong Joon-Ho, Palme d’or 2019), peu de films de genre hexagonaux arrivent en salle de nos jours.
Les causes sont multiples. D’abord, la mauvaise réputation du film de genre pèserait sur l’industrie. Il y aurait encore l’idée selon laquelle les Américains seraient les seuls capables de les créer, grâce à un budget alloué conséquent. Le directeur des programmes et acquisitions d’OCS Boris Duchesnay concède d’ailleurs volontiers que la France sous-finance ce type d’œuvres. Avec un budget de trois millions d’euros, Grave figure parmi les films dits de genre les mieux financés dans le paysage cinématographique. Sa réalisatrice étant la première à estimer ce montant insuffisant pour faire « du genre », c’est dire la difficulté à rendre crédible et impressionnant un univers donné (fantastique, science-fiction…) avec peu de moyens.
Pourtant bienvenue pour soutenir financièrement ce cinéma particulier, l’aide nouvellement attribuée par le CNC n’est pas entièrement satisfaisante : son existence souligne effectivement la défaillance des autres guichets de financement.
C’est un fait, la part de risque apparaîtrait forte auprès des décideurs. Non seulement le budget se voudrait supérieur par les moyens visuels déployés, mais certaines interdictions de diffusion selon l’âge du public entacheraient sa distribution, notamment à la télévision.
Alors, pour mieux cerner les risques financiers encourus, l’analyse du scénario prévaudrait. Face à un futur film d’horreur, les financiers devraient, par exemple, s’assurer de l’angoisse générée par le script. Du moins est-ce le conseil de Boris Duchesnay.
Cependant selon Julia Ducournau, c’est précisément l’appréciation des scénarios qui serait à reconsidérer. À la lecture d’un projet, il faudrait se concentrer sur la vision générale de son auteur, plutôt que sur les idées propres au genre mises en place. Surtout, il ne faudrait pas s’arrêter aux dialogues écrits, mais à l’univers dépeint. Autrement dit, lire avec intérêt des descriptions parfois longues et fastidieuses, car la narration du film de genre « se fait par l’image ». Pour expliquer sa pensée, Julia Ducournau cite Grave : en lisant seulement les dialogues de son film, on ne comprend pas du tout l’histoire. Grâce aux descriptions, par exemple sur les regards échangés entre les personnages, on accède au récit et à l’atmosphère voulue, qui se calque sur le genre horrifique.
À la productrice Caroline Bonmarchand (Avenue B Production) de conclure sur une touche positive : la révolution technologique promet à l’avenir des films de genre bon marché, donc facilement diffusés. Peut-être serait-ce là une bonne façon de donner à ce cinéma la même chance que les autres.