Innocente, burlesque, irrésistible : la mini-série policière de Bruno Dumont pour Arte, présentée à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, filme un gamin au cœur d’une enquête criminelle. Indices en jeu.
LE GAMIN
Le P’tit Quinquin est le héros de l’histoire. Un néo-polar rural génial, labouré par un metteur en scène creusant comme jamais la comédie, de manière improbable, inattendue, désopilante, conséquente. Le gamin fait du vélo et il fait des bêtises. Il déraille et dérouille avec ses embrouilles. Il roule à toute berzingue et il roule des pelles à sa copine Eve. Il est insupportable et attachant, le p’tit Quinquin, boule à zéro, bille de lune, beau diable. Et on l’aime bien, le p’tit Quinquin, et même, on a le béguin, pour ce gosse à trogne, au surnom de chanson ch’timi, qui glisse à l’oreille son entêtant refrain. « Dors, min p’tit Quinquin, min p’tit pouchin, min gros rojin, te m’fras du chagrin si te ne dors point ch’qu’à d’main ». Le p’tit Quinquin joue mille tours aux alentours de la ferme familiale qu’il habite avec son père revêche, sa mère courage, son oncle aliéné, ses grands-parents séniles. Avec sa bande de vilains garnements, il paraît avoir mené toutes les guerres des boutons du monde sauvage, dans les herbes hautes de la Côte d’Opale. Quinquin est un guerrier des champs et un servant de messe. Au cœur du mal, il apprendra que l’innocence finit toujours par se perdre et être sacrifiée.
LES GENDARMES
Au pays rustique et nordiste de Quinquin, les cadavres en morceaux ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval, mais dans le cul des vaches, bêtes humaines pour le coup, ou tout aussi bien, bêtes de conte fantastique et d’apologue orwellien.
Au pays de Quinquin, le crime en série est étrange, et les gendarmes doux dingues, qui roulent à tombeau ouvert sur des chemins de poussière. Ils mènent l’enquête, aussi irrationnelle que ces affaires criminelles surréelles qui successivement tuent la femme, le mari, l’amant. Le commandant toc, tout en tics, répliques du tac au tac, Charlot titubant, à tête hirsute de Groucho Marx, avance flanqué d’un lieutenant sérieux comme un pape incompétent, grande silhouette de tige, droite et raide. Bruno Dumont crée avec ce duo inséparable un couple de cinéma épatant, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps dans la comédie policière télévisuelle, formatée, stéréotypée. Au pays de Quinquin et de Dumont, tous les codes du genre sont déformés par le cocasse, le burlesque, la tragédie. Voilà une série télé qui se joue, se dialogue et se met en scène au cordeau, et si c’est ça la télé, alors c’est du cinéma. Ce sont donc bien quatre fragments d’un long-métrage qu’on aura vus, avec la projection bout à bout des quatre épisodes de la série, à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs.
LE VILLAGE
Au pays de Quinquin, village côtier du Boulonnais, Bruno Dumont filme la vraie vie rêvée des gens et d’une terre ancrée, des comédiens non professionnels qui doivent avoir appris à jouer avec leur réel. Ce petit monde ne triche jamais avec sa vérité frustre, mais il passe la frontière avec sa fiction que la caméra regarde en face, sans biais, comme si elle leur était naturelle et consubstantielle, et qu’il convenait simplement de la révéler au regard du cinéma et du monde. Le village ne renvoie pas une image trafiquée, et consent à la mise au jour sans semblant de sa trivialité et de sa cruauté, mais aussi de sa tendresse et de sa poésie inexpliquée. Des majorettes entrent dans le champ, la fanfare dans ses pas. Les anciens combattants ne cessent de se souvenir des morts. Un gamin noir essuie des injures racistes bêtes à en mourir. « Je sais combien le mal est profond et étendu », observe le lieutenant. Tout le cinéma viscéral de Dumont écrit dans ce mouvement de révélation l’humanité. Elle est violente, brutale, sauvage et elle attrape nos consciences.