Cette série haletante, sur un homme qui cherche sa sœur parmi les combattantes kurdes en Syrie, parle de combats et de croyances. Des choix que l’on fait et des endroits où ils nous mènent…
En 2014, Antoine Habert, architecte parisien, croit voir fugitivement sa sœur Hana de dos, dans un reportage télévisé sur les femmes combattantes kurdes du YPJ en Syrie. Hana est morte quelques années auparavant dans un attentat au Caire, mais Antoine, inconsolable de la disparition de la jeune femme, avec laquelle il était brouillé, et contre l’avis de ses parents et de sa fiancée, se lance à la recherche d’Hana. Il se rend en Turquie, et de là passe en Syrie. Tandis qu’il est kidnappé par le YPJ, trois Anglais, amis d’enfance, rejoignent les rangs de Daech…
Sur cette trame, les huit épisodes de No Man’s Land épousent une structure, somme toute classique, en flash-back révélant qui sont les personnages et surtout ce qui les a menés là où ils sont, c’est-à-dire en Syrie, au cœur d’une guerre entre Daech et ses opposants, notamment l’armée des combattantes kurdes YPJ. Jamais didactique, la série expose bien les tenants et les aboutissants, et peint des personnages complexes, dans leurs désirs et dans leurs liens, dans leurs croyances et leurs combats. On est proche d’eux, on ne sait pas tout, mais on les comprend intimement. Antoine, Sariah, Nasser et les autres sont bien vivants et tout ce qu’il y a de plus humains dans ce No Man’s Land.
Magnifiant une écriture minutieuse, originale et très documentée (les deux auteurs, Ron Leshem et Amit Cohen, viennent du journalisme), la mise en scène est parfaite. Elle ne cède jamais à la facilité ni à la joliesse, s’autorise même une certaine rugosité, une sécheresse, tout en ménageant sans faiblir un suspense haletant. Le montage, remarquable, procède en cercles concentriques, puisque les personnages se rapprochent les uns des autres pour arriver en temps réel dans l’ici et maintenant (situé en 2014, mais qui est bel et bien le présent du récit), ce moment crucial de l’expansion du groupe État islamique, dont il est dit que ses ramifications vont atteindre l’Europe.
Autour de Félix Moati et Souheila Yacoub (révélée dans Les Sauvages de Rebecca Zlotowski) remarquables, la troupe des acteurs est d’une diversité et d’une puissance à saluer. La série No Man’s Land n’oublie jamais le spectacle, tout en étant profonde, humaine, géopolitique et politique ; elle établit la montée du groupe État islamiste et la mise en place des forces s’y opposant et réussit là où des fictions cinématographiques comme Les Filles du soleil de Eva Husson ou Sœurs d’armes de Caroline Fourest ont failli. Sans doute parce que la forme sérielle permet de développer toutes les pistes et rendre complexe une histoire qui ne peut être évoquée de façon univoque : ses enjeux, dont certains sont très opaques, ne pouvant être réduits à des idées reçues. À l’image d’une très belle scène où Antoine découvre qu’en faisant un pas au milieu d’un camp de réfugiés en Turquie, il vient de passer en Syrie, c’est une série sur les frontières, visibles et invisibles, ces moments où, au figuré comme au propre, on passe de l’autre côté.