Série documentaire sur un projet de plate-forme SVOD montée au fin fond de l’Ardèche, Le Village nous fait vibrer au rythme des saisons avec des hommes et des femmes pétris de croyance. Et ça fait un bien fou…
Lussas, village d’Ardèche où chaque année en août — et depuis trente et un ans — se déroulent les États Généraux du Documentaire, est un lieu d’utopie, où des irréductibles continuent de croire en leurs rêves. Et de faire en sorte qu’ils deviennent réalité. Il y a là Jean-Marie Barbe, la soixantaine, né à Lussas, dont les parents tenaient l’épicerie du village, et qui est une sorte de chef de troupe, de croyant absolu. Autour de lui, tout le monde s’affaire et s’emballe pour une idée formidable : prolonger le travail des États Généraux par une plate-forme de SVOD dédiée aux films d’auteur nommée Tënk (ce qui signifie « Résume-moi ta pensée ! » en wolof) et la construction d’un bâtiment au bout du village pour abriter cette nouvelle structure, également coproductrice. Idée « déraisonnable », dit quelqu’un, et à ce titre indispensable…
Claire Simon les filme comme elle filmait le patron et les employés d’une petite entreprise dans Coûte que coûte. L’énergie déployée pour survivre… Ses documentaires ont souvent été montrés à Lussas, elle connaît bien le lieu, l’équipe, mais en s’emparant de sa caméra, comme à chaque fois, elle va plus loin. Elle nous ouvre un monde. Autour de Jean-Marie, il y a plein de très jeunes gens emballés par l’idée. Il y a aussi Jean-Paul, le maire du village, de la même génération que Jean-Marie, qui est à la fois homme politique et agriculteur : on le voit traverser le village sur son tracteur et faire signe aux gens, comme d’autres, dans d’autres lieux, saluent d’une voiture de luxe aux vitres teintées. Et puis il y a Patrice, quadragénaire revenu au pays pour reprendre l’exploitation de la terre de ses parents…
En vingt épisodes de vingt-six minutes séparés en deux saisons, Claire Simon couvre trois ans d’une utopie collective, de 2016 à 2018. De l’abstrait (l’idée) au concret (le bâtiment dans lequel l’équipe emménage). De l’idée à sa réalisation. Et ce qui est beau, c’est que ce village microscopique de 1100 habitants contient l’univers entier. Le quotidien des « imaginaires », qui doivent jongler avec les subventions, les droits d’auteur, les calculs des déficits et autres tangibles contraintes qui vont de pair avec toute mise en œuvre d’un projet. Et qui sont à la merci d’un retrait de subvention, d’un changement de ministre, d’une récession générale. Celui des agriculteurs, des « terriens », qui coupent, taillent, cueillent, travaillent sans relâche. Et restent suspendus aux intempéries et au soleil, aux attaques des insectes, à la qualité finale des produits et autres impondérables, faisant, comme le dit joliment Patrice, que, au bout du compte, toute récolte tient du miracle…
Le Village, c’est l’histoire de gens qui ont la foi chevillée au corps. La croyance en leurs rêves, en leur vision du monde. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires et ce sont des héros extraordinaires. Parce que le réel est leur lot et leur force, parce qu’ils sont tous campés solidement sur leurs pieds dans ce coin d’Ardèche qui n’est à l’abri de rien (ni de la mondialisation ni de la crise économique…), mais qui fait tout pour résister à tout…
À la fois simple et élaborée, bénéficiant d’un montage fluide et sensible, cette série documentaire est passionnante comme une fiction. Parce que la vie fait partie du projet.