Quelques heures en Belgique
Sur le tournage du film Je suis un soldat de Laurent Larivière
C’est à l’automne dernier que Laurent Larivière a tourné son premier long-métrage, entre la France et la Belgique. Louise Bourgoin et Jean-Hugues Anglade y incarnent une jeune femme et son oncle. Déterminisme social, lien familial et cruauté sourde s’y entremêlent, sur fond de trafic de chiens. Je suis un soldat vient d’être présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, et sortira en salle à l’automne.
Mardi 4 novembre 2014. Un matin gris et froid. TGV de Paris Nord pour la gare de Lille Europe où attend une voiture de la production. Direction Lessines, petite ville belge de la province du Hainaut, où se trouve le plateau du jour de Je suis un soldat. Le premier long-métrage de Laurent Larivière en est à sa sixième semaine de tournage.
Séquences du jour ? 30A, 30B, 38 et 40, soit quatre minutes et vingt secondes du film. C’est précis. De l’intérieur et de l’extérieur jour, autour de l’entrepôt d’un certain Roberto. Sont présentes les deux vedettes du film : Louise Bourgoin, alias Sandrine, et Jean-Hugues Anglade, alias Henri. Mais aussi, dans le rôle de Roberto, Angelo Bison, actif à la scène et vu chez ses compatriotes belges Harry Cleven, Jan Bucquoy, Frédéric Fonteyne, et Thomas Scimeca, échappé de la troupe des Chiens de Navarre, et vu récemment dans Fidelio de Lucie Borleteau et Inupiluk de Sébastien Betbeder.
Mais encore ? Toute l’équipe de tournage, des silhouettes, des figurants, des cages et une tripotée de chiens. De chiots, pour être exact. Car Roberto est le patron des lieux, qui sentent le commerce canin officieux, et Henri, assisté de sa nièce Sandrine, est dans le business, dans le nord de la France. L’oncle vient acheter des lots pour son chenil. Il y a de quoi faire ; des bergers australiens miniatures, des teckels, des chihuahuas, des boxers, des saint-bernard. Dans une des scènes, Sandrine se pince le nez, tellement l’odeur est forte et l’agresse. L’ambiance du film est sombre et tendue.
Le décor est impressionnant. Un hangar désaffecté que l’équipe déco, menée par Véronique Melery, a en partie transformé en entrepôt sur deux niveaux, avec les cages en bas, et des bureaux à l’étage. Une moitié du hangar est ouverte et remplie de végétation qui a repris ses droits. Les lieux balancent entre le froid et le chaud, avec l’installation de lumières orangées au-dessus des cages. Le dresseur veille hors caméra pour tenir ses animaux avant et pendant les prises. Car elles remuent pas mal, ces p’tites bêtes.
Tout transpire la tractation, le trafic, l’argent, et les mots sont aussi importants que les regards. Louise Bourgoin est ultra-concentrée. Elle fait exister la seule femme présente à l’image dans cet entrepôt où les hommes et les chiens dominent. Renfermée, endurcie, cheveux courts, Sandrine fait face à Henri, son oncle, alias Jean-Hugues Anglade. L’acteur arbore une barbe drue et en impose avec autorité, à la fois charismatique et inquiétant. Les prises s’enchaînent avec l’entrée et la sortie de l’entrepôt de l’oncle et de la nièce, en duo ou en solo, en tenues sombres et tout-terrain. Les dialogues sont brefs, directs, concrets. Les enjeux sont forts. Personne n’a le droit à l’erreur.
Dans le combo, écran de retour d’image en direct, les visages sont durs et denses. Pas une mouche ne vole au son du « Silence demandé », hormis les grognements des chiots. Le réalisateur est calme. Serein, même. Laurent Larivière a déjà filmé six courts-métrages, de L’un dans l’autre à Tous les adultes ne sont pas méchants, en passant par les salués J’ai pris la foudre et Les Larmes, de fictions pures en voyages poétiques. Avec Je suis un soldat, il passe le cap du long-métrage. Un long, coécrit avec François Decodts, qui s’annonce intense et nerveux. Une terre de promesses. À suivre de près dans les prochains mois, après sa sélection cannoise dans la section Un Certain Regard…