Sur le tournage de…

En mai, fais ce qu'il te plaît

Tout a commencé dans une salle de réunion du CRRAV, Centre Régional des Ressources Audiovisuelles à Tourcoing. Christian Carion, réalisateur préféré des Ch’tis depuis qu’il leur a rendu leur humanité dans Joyeux Noël, venait solliciter les mémoires nordistes. Son but ? Faire un film qui leur parle et souligne un pan de l’Histoire souvent oublié : l’exode des nordistes de 1940. Poussés sur les routes par l’arrivée des Allemands, les nordistes s’étaient mélangés, avaient migré, étaient revenus… Ils avaient une histoire à raconter. Et tout cela a formidablement bien marché. Les nordistes, dans leur générosité légendaire, avaient fouillé leur mémoire et donné au réalisateur de quoi faire un film. De loin en loin, on avait suivi l’avancée des travaux, pris des nouvelles. Et puis la nouvelle est arrivée : le tournage d’En mai, fais ce qu’il te plaît allait commencer sur les routes du Nord-Pas-de-Calais. Nous sommes allés y faire un tour.


D.DAY NORDISTE

Il faut d’abord passer les terrils, les maisons de brique rouge et puis arriver quelque part, dans le Pas-de-Calais. À Betincourt, on n’a pas vraiment l’habitude des visites. Dans ce petit village, tout est paisible. Enfin, tout l’était jusque-là. À Betincourt, on a pris l’habitude de voir passer les Panzers et les motos couleur kaki… C’est qu’En mai, fais ce qu’il te plaît est un film historique, une reconstitution de l’été 1940, chaud et mouvementé pour les nordistes.

Au milieu des champs, entre les tentes de décors et d’accessoires d’époque, entre les Panzers et les maisons en brique rouge, les camions si reconnaissables des machinos et du catering (la cantine) dénotent. Ce matin, on tourne sur la route, une séquence plutôt « légère », qui voit les trois héros du film se balader sur une moto avec side-car.

Début de journée, on vérifie le cadre. C’est que les panneaux de signalisation modernes feraient mauvais genre au milieu d’une séquence censée se passer en 1940.

Une fois les réglages faits, se pose la question du soleil. Parce que, cette fois, celui que les gens du Nord ont dans le cœur ne suffira pas.

Mais pour l’équipe, ce n’est pas si grave. Ils ont vu déjà des journées autrement plus difficiles. La semaine dernière devait se filmer une séquence nettement plus complexe : l’attaque d’un convoi de voyageurs par l’aviation ennemie. Christian Carion raconte : « On s’est installés une semaine dans un endroit où le convoi se fait mitrailler par des avions allemands. C’est très compliqué à organiser, parce qu’il y a beaucoup de plans. Le convoi sur la route fait 300 m de long, il a fallu une semaine pour mettre ça dans la boîte. Je ne sais pas combien il en restera au montage, mais oui, sûrement moins d’une minute. Ce n’est pas proportionnel… »

Un travail de titan qui n’entame pas sa bonne humeur. Ce midi-là, au catering, Christian Carion accueillait sa mère, celle qui lui a raconté cette histoire, celle qui lui a donné envie de la raconter aux autres, celle à qui il a dédié son film.

On l’alpague, attire son attention pour quelques minutes. Sur un tournage, on ne peut pas vraiment attendre beaucoup plus d’un réalisateur… Mais son énergie est communicative, son bonheur d’être là rayonne et il prend son temps.

Très vite l’équipe a besoin de son chef, on s’éclipse. On suit, de pas si loin, la troupe qui se met en marche vers la petite route. Cette fois, les acteurs sont aussi sur place. Christian Carion les écoute, les briefe, jette un regard aux machinos. Tout est en place. Mais non… il y a encore un petit détail à régler. Autour de l’équipe, on attend, c’est le sport national sur un tournage de cinéma. Les yeux de Laurent Gerra brillent face au side-car : il va réaliser un rêve. On en profite pour lui poser une ou deux questions.

L’équipe vient le récupérer, nous nous retranchons dans un petit coin, avec toujours cette impression d’être un chien dans un jeu de quilles, sur un tournage où tout le monde s’affaire.

On se met à l’écart.

Les acteurs se posent dans le side-car. L’équipe et son chef s’arrangent tant bien que mal sur un plateau remorque, celui qui permettra le travelling.

C’est serré, mais ça passe.

Moteur – Moteur demandé – Ça tourne – Action.

Le side-car s’ébranle avec son étrange équipage, et très vite il disparaît à la faveur d’un virage. Et puis il revient, se pose au même endroit. Et on recommence.

Cette fois, le chef nous appelle : « Vous venez sur le camion ? ». On se pose en face de Christian Carion, qui scrute tantôt son combo, tantôt le ciel…

Il faut profiter des « éclaircies ».

Il remet en place une bouteille dans les sacoches du side-car, échange une plaisanterie avec Matthew Rhys et August Diehl, se marre quand Laurent Gerra sort une vanne. Et subitement, tout le monde se reconcentre : le soleil est là. Mais cette fois, c’est un panneau de signalisation qui joue les trouble-fête.

Au bout de quelques prises, cette fois c’est dans la boîte. On descend du camion et toute l’équipe s’active vers la prochaine scène, un peu plus loin.

Christian Carion a le sourire aux lèvres. Il a sur pellicule une partie de son histoire, une partie du soleil des gens du Nord aussi, ceux qu’il aime tant.

 


EPILOGUE

Quelques mois plus tard, on prend des nouvelles : Christian Carion est en plein montage, à Lyon. Et alors ? Cette histoire le passionne toujours autant. Il la voit enfin se dérouler devant ses yeux. Il est heureux de la « matière » avec laquelle il joue, heureux de pouvoir montrer qu’au cinéma aussi, on peut faire ce qu’il nous plaît.

Et puis… Il y a la magie d’Ennio Morricone. Le maestro a décidé de reprendre sa baguette de chef d’orchestre pour Quentin Tarantino ET pour Christian Carion. Et il signe la partition musicale d’En mai, fais ce qu’il te plaît. Le réalisateur comblé raconte : « Il m’a dit : on en fait toujours trop. Et même si c’est de moi, il faut couper. Il a composé une heure de musique et on en a gardé peut-être 20 minutes ».

Aujourd’hui, Christian Carion s’apprête à sillonner les routes pour conter l’histoire de ces gens du Nord qu’une guerre a jetés sur les routes, loin de chez eux. Il a hâte d’en discuter avec les spectateurs, d’ouvrir le débat sur cet exode massif souvent oublié. Et surtout, il a hâte que sa mère voie son film.