Retour sur la masterclass de Robert Zemeckis, réalisateur, en présence des acteurs Denzel Washington et Kelly Reilly, à l’occasion de l’avant-première de Flight. 15 janvier 2013, Paris, Champs-Elysées.
Robert Zemeckis manipulait des machines, ces dernières années. Il capturait des mouvements, comme un chasseur cinétique. Les hommes peut-être lui manquaient, bien trop vivants pour se laisser remplacer par les technologies et le clan cloné des avatars. Dans l’usine à rêves, les hommes sans doute étaient irremplaçables. Ils ont volé aux spectres leur présence dérobée. Qui voulaient leur peau ?
Robert Zemeckis revient avec un film rongé jusqu’à l’os. Le regard prédateur tourné en live, l’œil sur la vie et ses insondables gouffres. Il a emprunté la compagnie d’un bel acteur pour creuser la complexité d’un destin, une âme dévastée et humaine : Denzel Washington, grande silhouette massive, bloc de puissance dramatique, sec et sobre, joue le pilote de Flight, film catastrophe et film de rédemption, film du ciel, béni comme l’est son personnage.
L’avion tombe, il le pose, il sauve des vies. C’est un miracle, il est un héros. Doublé d’un salaud d’alcoolo, rendu à une effroyable solitude. Il est cramé, comme la fille paumée qu’il croise dans les escaliers de l’hôpital où les fumeurs brûlent l’interdit. Elle a réchappé d’une overdose et elle le joli minois de l’actrice anglaise Kelly Reilly, qui tient son premier rôle d’une carrière américaine débutante. L’actrice tout en rousseur dit en douceur une drôle de chose sur le réalisateur : « Il est très technique ».
Robert Zemeckis aurait pu ressembler à un geek de la première génération. Ceux d’aujourd’hui s’affublent d’épaisses lunettes démonstratives. Les siennes sont fines et métalliques, discrètes et utiles, elles s’assortissent avec un costume d’élégance qui le place du côté des gens de belle classe. Il pourrait infiltrer Wall Street avec ses hommes d’argent affairés, sans jurer dans le décor. A Paris, l’Américain s’habille à l’image de la ville ; un style éclatant, un luxe bien coupé, un idéal mondain.
Robert Zemeckis a de l’allure. C’est un pilote chevronné. Il traverse le ciel sans peur, comme il foule le tapis rouge des jours de fête au cinéma, en confiance. Les gens se pressent et lui tendent les bras. On téléphone, on twitte, on photographie ; les temps sont modernes.
Une ancienne ministre de droite devenue animatrice télé sourit parmi les invités de marque de la projection parisienne: on aperçoit l’image nouvelle de Roselyne Bachelot sur écran géant. Le cinéaste la connaît-il ? Il se pose dans ce royaume terrestre des désirs et des bonheurs partagés comme s’il arrivait à bonne destination. Il s’amuse. On attrape une phrase au vol : « C’est toujours risqué de faire un film. C’est comme de conduire un avion : la moindre erreur peut être tragique. »
Robert Zemeckis entre dans la salle avec ses acteurs. C’est tout un cérémonial. Un dispositif, aussi. Des hommes en noir, à oreillettes, arpentent les travées comme des bodyguards sur leurs gardes. Ils ont l’œil avisé, le regard fermé, peu commode. Et si on bougeait le petit doigt, pour voir ?
Robert Zemeckis donne une masterclass à Paris. Une leçon ? Le cinéaste oublie vite son enseignement : sa voix d’Amérique préfère une conversation légère. Le cinéma parfois parle comme ça, avec des mots d’ordinaire que les maîtres savent aussi, qui glissent sur la simplicité des jours.