Avant d’être un film, Zulu est un roman très noir signé Caryl Férey. L’histoire de deux policiers, Ali (Forest Whitaker) et Bryan (Orlando Bloom) qui, dans une Afrique du Sud hantée par l’apartheid, mènent une enquête musclée sur le meurtre d’une jeune adolescente. De ce brillant polar, Jérôme Salle et son coscénariste Julien Rappeneau ont retenu un sens aigu du récit et des dialogues, un goût pour la crasse et la beauté d’une terre de contrastes, et le charisme des personnages. Moins politique que le livre, Zulu, le film, choisit de procéder par touches. Violence, passé des héros, histoire du pays… Le réalisateur d’Anthony Zimmer et des Largo Winch réduit, au sens culinaire du terme, le roman de Férey et signe ici le plus personnel de ses films. Un western moderne, âpre et haletant, dont il ouvre et commente, pour BANDE A PART, son album de repérages.
REPÉRAGE N°1 : L’Afrique du Sud
29° 00′ S, 24° 00′ E
« Mon premier séjour là-bas m’a convaincu qu’il fallait être fidèle au bouquin dans lequel l’Afrique du Sud est un personnage à part entière. Avec son passé, ce pays est une source inépuisable d’histoires. Les décors y sont incroyables et il y a une lumière sublime. C’est étrange, mais elle me rappelle celle de Marseille en hiver. Une lumière très froide, un ciel très bleu, balayé par le mistral.
Dans Zulu, il y a l’idée de tourner des scènes très dures dans des lieux magnifiques. Je voulais, par exemple, que le cadavre de la jeune fille soit retrouvé dans le splendide Jardin Botanique. Je voulais que le corps soit étalé au milieu des fleurs. Un cadre idyllique rend la violence encore plus insupportable. Elle surgit. Ce contraste est extrêmement symbolique du pays : un lieu somptueux dans lequel la violence est constamment sous-jacente.
La grande option que j’ai prise – qui était plus sous-jacente dans le bouquin – est celle du pardon. Comme le dit Desmond Tutu : « Pas d’avenir sans pardon ». L’Afrique du Sud est le pays idéal pour traiter du pardon. À la fin de l’apartheid, le gouvernement a mis en place des « commissions vérité et réconciliation », afin d’éviter l’engrenage de la vengeance et de permettre aux bourreaux de demander pardon à leurs victimes. Et d’être ensuite amnistiés. »
REPÉRAGE N°2 : Le Cap
33° 55’ 31’’ S 18° 25’ 26’’ E
« Le film se passe au Cap. Ce qui est intéressant là-bas, c’est que cohabitent dans un espace extrêmement restreint des milieux sociaux contrastés. Les townships sont parfois à 500 mètres des villas luxueuses. C’est un résumé de la manière dont va le monde de la mondialisation. Les plus riches côtoient les plus pauvres. Il existe des barrières mentales et matérielles. On vit côte à côte. D’un point de vue narratif, ça crée de la tension, car il y a cette possibilité de bascule qui peut se produire en quelques minutes. »
REPÉRAGE N°3 : La Table Mountain
33° 57’ 45’’ S 18° 24’ 38’’ E
« Cape Town est très urbain, mais juste au-dessus, il y a la Table Mountain. La ville est accolée à cette falaise. J’ai essayé de l’intégrer au cadre le plus souvent possible. Il y a une forme de sauvagerie dans cet escarpement. Quelque chose de tragique. Ce mont au-dessus de la tête d’Ali et de Bryan symbolise le poids qu’ils portent en eux. Celui de leurs parents, de leur histoire, de l’histoire du pays. Zulu est un film de couloirs, de tunnels. Ali et Bryan ne peuvent échapper à leur destin. »
REPÉRAGE N°4 : L’appartement d’Ali
33° 55’ 31’’ S 18° 25’ 26’’ E
« J’ai eu beaucoup de mal à trouver cet appartement. Je voulais quelque chose de très urbain car Ali est le symbole d’une forme de réussite noire en Afrique du Sud. Un type qui a intégré la philosophie du pardon de Mandela, qui a réussi professionnellement et socialement. Son appartement devait être le plus occidental possible. Mais en même temps, je voulais une forme d’anonymat, parce qu’Ali est un personnage secret. Il fallait que cet espace fasse penser à un appartement témoin. Quelque chose de neutre avec un tapis de course qui ressorte – symbole de sa fuite en avant, de ce besoin de courir qui remonte à son enfance. Enfin, je ne voulais pas que ce lieu domine la ville. Les buildings sont à sa hauteur. Il est au cœur de la ville, enfermé. »
REPÉRAGE N°5 : Multicultures
« Je trouve qu’on voit davantage l’Afrique du Sud dans ce film que dans le livre. D’abord par ses paysages extraordinaires, mais surtout par ses langues. Au Cap, ça parle afrikaans, anglais, zoulou, xhosa… La nation arc-en-ciel ! Dans le travail de Jérôme, le pays est filmé dans sa diversité. »
Caryl Férey
« Étant français, j’ai hésité à faire ce film. Je ne pensais pas avoir la légitimité pour cela. Mais quand nous sommes partis en repérage, j’ai pris conscience qu’être étranger était un avantage. J’étais neutre aux yeux de tous. L’acteur Conrad Kemp, qui incarne le collègue d’Ali et de Bryan, et qui est sud-africain, me parlait souvent de la culpabilité qu’il trimbale. Il me disait qu’il avait du mal dire non à un Noir qui lui demande quelque chose, car même s’il n’a pas connu l’apartheid, il choisit d’en porter le poids. Et c’est ainsi dans tous les rapports humains de ce pays, il y a quelque chose d’implicite qui circule. »
REPÉRAGE N°6 : Les Townships et les Cape Flats
33° 55’ 31’’ S 18° 25’ 26’’ E
« Je ne suis jamais allé à l’endroit où sont tournées les scènes du bar. J’avais lu qu’il y avait un gang, les Americans, dans ce coin. Je les avais cités sans aller dans leur repaire. »
Caryl Férey
« Les townships possèdent une esthétique. C’était presque trop joli pour les scènes qu’on devait tourner. Et même sociologiquement faux. Nous sommes donc partis tourner dans Les Cape Flats. Ces quartiers de gangs sont totalement différents. Visuellement, c’est The Wire. Des bâtiments en dur construits pendant l’Apartheid, aujourd’hui délabrés. C’étaient les quartiers des Coloured – les plus favorisés par le régime, car ils étaient des contremaîtres. Les Coloured viennent de partout et n’ont rien qui les relie. Ils n’ont pas de langue commune. Ils n’ont que l’afrikaans, la langue du colon mélangé à de l’argot des gangs. Ce sont des populations disparates. Il y a des fusillades partout. La dope y est le seul moyen de gagner de l’argent. »
REPÉRAGE N°7 : La plage
33° 55’ 31’’ S 18° 25’ 26’’ E
« Cette plage existe dans le livre de Caryl. Je n’ai pas du tout fui le côté carte postale, parce que l’histoire était suffisamment âpre pour me le permettre. Là aussi, le contraste m’intéressait. Des plages paradisiaques, des grands rouleaux, des étendues époustouflantes, un décor balnéaire idéal… Et le danger qui surgit. Un décor et une ambiance qui n’annoncent en rien ce qui va arriver. Un lieu où les choses peuvent déraper lentement. Cela rend la violence encore plus terrible et insoutenable. »
REPÉRAGE N°8 : Le désert de Namibie
22°00’ S, 17°00’ E
« C’était assez cher d’aller tourner en Namibie. Pendant la préparation, on m’a demandé pourquoi on ne tournerait pas la fin du film dans une villa. J’ai clos le débat en disant que je réalisais ce film pour cette scène finale dans le désert que j’avais lue dans le livre. C’est à ce moment que le film glisse du réalisme vers un onirisme total. Le désert s’impose comme une image mentale. Les dix dernières minutes du film, il doit y avoir deux répliques. Il n’y a plus que l’homme face à lui-même, qui marche inexorablement vers sa vengeance.Il n’y a que dans le désert qu’on pouvait faire ressentir ça. Ce type marche, ne court même pas. Il fallait sentir cette conviction chez lui qu’il s’était égaré. »
Propos recueillis par Mélanie Carpentier