C’était les 17 et 18 juin derniers. Le Forum des images organisait la première édition du Paris Virtual Film Festival et proposait au public (nombreux : 1600 visiteurs étaient présents sur deux jours) une sélection de films à 360° à découvrir grâce à des casques de réalité virtuelle.
Parmi les films sélectionnés, deux expériences ont fortement marqué les esprits : Allumette, réalisé par Eugene Chung, dans la version Oculus Rift, soit un village dans les nuages au milieu duquel le spectateur est immergé, avec la possibilité de bouger dans l’espace et de découvrir l’intérieur des décors en y penchant la tête ; et La Péri de Balthazar Auxietre, qui donne à voir une danseuse-feu follet avec laquelle le spectateur peut évoluer dans l’espace.
En marge des « projections », des tables rondes interrogeaient le potentiel de cette nouvelle technologie, son déploiement actuel et ses promesses. Plusieurs cinéastes, dont Tony Gatlif et Stéphane Brizé, et les producteurs Eric Névé et Jimmy Desmarais étaient présents pour découvrir des films et débattre ensemble de ce que leur inspire ce nouveau moyen d’expression. Lors d’une conférence, chacun a donné ses impressions. Morceaux choisis.
« Peut-être que les premiers spectateurs du cinéma ont eu des émotions proches de celles qu’on a eues en voyant ces films de réalité virtuelle aujourd’hui. C’est passionnant, cette expérience physique. En tant que réalisateur, je me pose des questions sur la place du spectateur. Il n’y a pas de job plus dictatorial que celui de metteur en scène : on impose notre point de vue au spectateur, des focales, des valeurs de plans, etc. Là, quand on est spectateur de films en réalité virtuelle, on a la possibilité de regarder à droite, à gauche, donc comment nous, raconteurs d’histoires, pourrons-nous créer des émotions avec un spectateur qui aura le choix de regarder autre chose peut-être que ce qu’on voudrait lui montrer ? Ce sont des questions passionnantes, c’est une porte qui s’ouvre sur tout un champ d’investigation et de réflexion. »
« C’est sûr et certain que la réalité virtuelle est un monde nouveau. On ne sera plus là, nous, cinéastes, quand cette invention sera au top. J’étais un peu sceptique au début, car j’aime trop le cinéma, l’écran et surtout la communion dans la salle avec les gens. Je regarde très peu de DVD chez moi, je préfère la salle, car même quand il n’y a que quatre personnes, quelque chose se passe, et c’est ça, le cinéma. Avec le casque, ça, ça me manque. D’ailleurs, peut-on appeler les films de réalité virtuelle des films ? Est-ce des expériences ? Comment le spectateur peut-il se mettre à la place de ce qu’il voit ? Comment faire de l’art avec ça ? Lors d’une des expériences que j’ai faites, j’ai été projeté dans l’espace au-dessus d’une ville, et j’ai eu le vertige, alors que je n’ai jamais le vertige ! C’était violent ! J’étais dans le film ! J’étais touché dans mon corps, ce qui veut dire qu’on peut être touché par ces films. Je trouve ça intéressant, même si, en tant que cinéphile, je me méfie. Je pense que c’est une invention fabuleuse qui peut être un outil formidable pour un réalisateur, mais je pense que nous, réalisateurs de films traditionnels, nous ne sommes pas prêts. »
« En tant que producteur de télé et de séries, je suis particulièrement sensible à la narration et au récit, et c’est vrai que c’est une véritable révolution technologique et qu’on a du mal à voir comment se l’approprier. Ça pose de vrais défis, notamment quant à la question du point de vue, de la gestion de l’ellipse, des transitions visuelles. Comment va-t-on raconter des histoires dans un monde de sphères ? »
« Face à ce nouvel outil, on voit très vite ce qu’on va garder de la narration traditionnelle, comme la construction des personnages et de la dramaturgie ; en revanche, la grammaire visuelle, le montage, la manière de filmer, là, on est devant une terre inconnue. C’est très stimulant. Il y a plein de choses qui vont s’inventer. On a hâte de voir arriver de nouveaux artistes, leur façon d’appréhender le monde et de le retranscrire avec ces nouveaux outils, c’est quelque chose de passionnant. »