Du 28 juin au 07 juillet, la 52e édition du Fema (Festival La Rochelle Cinéma) a confirmé son importance sur la carte des festivals : non compétitif, cinéphile, populaire tout en restant pointu. Une grande fête malgré un contexte politique chaotique présent sur toutes les lèvres.
À chaque édition du FEMA, il y a toujours une petite émotion en s’installant dans la magnifique Grande Salle de la Coursive. Si à l’année, elle est plutôt destinée au spectacle vivant, le festival lui donne l’occasion d’arborer son immense toile blanche. Avec sa capacité de 1000 places, qui n’est pas de trop, le cinéma renoue avec son aspect populaire pour un événement dont la programmation de plus de 200 films permet de satisfaire tous les goûts, jusqu’aux plus exigeants. Cette salle était aussi un parfait écrin pour y découvrir le dernier film d’Alain Guiraudie, Miséricorde, qui ouvrait cette 52e édition. L’arrivée de Jérémie dans un village aveyronnais est le point de départ d’une enquête qui vire à la franche comédie. Le cinéaste joue volontairement avec les archétypes d’un certain théâtre de boulevard : le duo de policiers, le curé du village, la femme du boulanger (Marcel Pagnol, presque déjà là, dans un festival qui présentait tous ses films !). Des codes joyeusement dynamités par un héros pasolinien, révélateur des désirs les plus enfouis.
Entre la redécouverte d’un film de Michael Haneke et le constat de la vertigineuse variété de l’œuvre de Chantal Akerman, le festival mettait donc à l’honneur le cinéma de Marcel Pagnol. Une rétrospective permettant de se rendre compte à quel point ses films surmontent l’épreuve du temps, pour ne pas dire qu’ils sont d’une pertinence des plus actuelles. Au hasard, Manon des sources (1952), qui, dans un entre-deux-tours politiquement chargé, dépeint un village dont la peur de l’autre, l’étranger, a mené à un drame originel qui hante encore les personnages. Tout le monde parle avec une langue chantante, certes, mais surtout d’une inventivité éblouissante à chaque phrase. Pagnol sait filmer cette parole, surtout quand elle vit à l’apéritif, autour d’une table, mais il est tout aussi à l’aise en s’éloignant du village et en s’aventurant dans les beaux reliefs de l’arrière-pays provençal. Dans ce paysage parfaitement cadré, par une collision d’images festivalières, on pourrait presque voir déambuler Natalie Wood, également à l’honneur lors de cette édition. Si, dans Manon des Sources, la bonne humeur apparente n’est qu’une façade pour parler de choses bien plus graves, il en va de même pour la comédie musicale dans West Side Story (Robert Wise, 1961). L’actrice sait aussi bien jouer la légèreté frivole que l’intensité du mélodrame comme en témoigne La fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) ou le méconnu Daisy Clover de Robert Mulligan (1965). Le distributeur Marc Olry, qui présentait le film, synthétise les différents rôles de Natalie Wood : une femme encore enfant qui, au cours du film et sous nos yeux, devient définitivement femme. On en a encore la larme à l’œil devant la fin tout en amertume de La Fièvre dans le sang (Elia Kazan, 1961).
Aux côtés d’un hommage à Françoise Fabian et d’une journée consacrée à l’acteur Daniel Day-Lewis, le FEMA inaugurait aussi une nouvelle section autour du documentaire. Les festivaliers ont pu découvrir le superbe Riverboom, de Claude Baechtold, dont les tribulations afghanes ont rencontré un franc succès. À Bande à part, nous étions déjà conquis et aurons l’occasion d’en reparler amplement autour de sa sortie en septembre prochain. Le film maîtrise parfaitement son équilibre entre générosité et petit précis politique de la situation du pays. Des qualificatifs qu’on peut également convoquer pour décrire cette édition du festival. Si la cinéphilie joyeuse est bien au rendez-vous (quel endroit approprié pour présenter Spectateurs ! d’Arnaud Desplechin et son hommage au cinéma !), la politique est aussi omniprésente. Les jours défilent au rythme des unes de Libération, distribué quotidiennement pendant le festival. La présence de Mohammad Rasoulof, venu parler de son dernier film brûlant, Les Graines du figuier sauvage, a également contribué à faire de la manifestation un espace ouvert sur le monde. L’Argentine était d’ailleurs bien représentée avec la présence du cinéaste Benjamin Naishtat, tout comme le Kirghizistan avec la découverte des films d’Aktan Arym Kubat.
Une glace pistache sur le port de La Rochelle et de retour dans la Grande Salle de La Coursive et la clôture du festival. Pour couronner la présentation des nombreux films restaurés au cours de la semaine, le FEMA s’achève sur une œuvre monumentale, la présentation complète du Napoléon d’Abel Gance. 7 heures montre en main. Un marathon qui passe à l’allure d’un 100 mètres. Au-delà de la restauration magnifique, le film impressionne par sa modernité folle. En 1927, tout le langage cinématographique que l’on connaît aujourd’hui était déjà là : jeu avec la profondeur de champ, montage cut, maîtrise parfaite de la lumière, tournage en extérieur … Le final, grandiose, filmé avec trois caméras et projeté dans une image triplement horizontale, regorge à lui seul d’innombrables trouvailles. Symétrie parfaite, split screen, multiplicité des points de vue : une demi-heure anthologique qui, au-delà de sa seule beauté, est parfaitement raccord avec ces scènes de remobilisation d’une foule, d’élan commun et de victoire. 23 h. Sortie de salle. Un coup d’œil sur le téléphone informe que dans le vrai monde, la mobilisation générale a également triomphé. Éblouissement total.
Léo Ortuno