La 33e cuvée sarladaise aura encore déplacé les foules. Le festival annonce même avoir battu son record de fréquentation. Une bonne nouvelle pour le grand écran, pour l’industrie, et pour la jeunesse et son lien au cinéma. L’occasion aussi, avec le palmarès 2024, qui couronne Rabia de Mareike Engelhardt, Planète B d’Aude-Léa Rapin, Megan Northam, Benjamin Voisin, Robespierre de Pierre Menahem et Montsouris de Guil Sela, et la sélection officielle, de faire un tour des préoccupations du moment.
À Sarlat, pas de jury de grandes vedettes. Les stars sont devant et derrière la caméra des films sélectionnés, et les festivaliers, grand public et élèves de lycées brillent comme votants et votantes. Ils et elles ont tout juste plébiscité un premier long-métrage : Rabia de Mareike Engelhardt, qui repart avec trois Salamandres d’or : Prix du public, Prix du jury jeunes, et Prix d’interprétation pour Megan Northam. Les lycéens récompensent collectivement le second film long d’Aude Léa Rapin, Planète B, et Benjamin Voisin se voit honoré pour son incarnation dans Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin. Le seul jury composé de pros de la profession, celui des courts-métrages, sacre Robespierre de Pierre Menahem, et offre une mention à Montsouris de Guil Sela.
Rester ou partir semble être un questionnement profond, au vu de la sélection officielle de cette année. Rester là où l’on est, là où l’on est né, là où l’on a grandi, où le destin semble condamner à demeurer, travaille les jeunes protagonistes du Grand Est de Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma et de Jouer avec le feu. Une jeunesse qui se débat avec le déterminisme social, et qui trouve dans la colère et la violence un mode de vie, même s’il est passager, pour contrer une autre cruauté, celle des injonctions et des assignations à rester dans sa case, en pleine fracture avec les autres. Un geste qui interroge justement le collectif, celui qui rassemblait les générations précédentes, les parents ouvriers et travailleurs, jadis unis dans un même mouvement sociétal. Aujourd’hui, la crevasse isole et oppose, et fait jaillir le nauséabond. La résilience colmate parfois les manques cruels (Leurs enfants après eux), mais parfois non (Jouer avec le feu).
D’autres font le choix de partir. Le frère cadet de Jouer avec le feu (Louis/Stefan Crepon) va étudier à Paris, et se rapprocher d’une élite, au grand dam de son aîné (Félix/Benjamin Voisin), qui reste englué au bercail. Dans un mouvement inverse, l’héroïne de Bonjour l’asile de et avec Judith Davis, Jeanne, quitte momentanément la grande ville pour la campagne, où elle découvre un mode de vie bobo rapproché de la nature, et un monde alternatif tentant de contrer le capitalisme et le libéralisme sauvages. La jeunesse est aussi parfois tentée par l’extrême. Le grand frangin Félix trouve un refuge dans l’extrême-droite dans Jouer avec le feu, et Jessica devient Rabia dans le film éponyme, et dans le giron féminin de Daech en Syrie. Deux trajectoires terribles, où la perte de repères débouche sur le pire, entaché de nihilisme et de sang, et saluées conjointement au palmarès pour leurs interprétations vibrantes.
Face à la tentation du néant, le cinéma de genre embarque, en explosant les barrières du réel pour invoquer d’autres territoires et offrir une alternative au réalisme. Ce sont le fantastique et l’anticipation dans la France futuriste de Planète B d’Aude-Léa Rapin, où l’activisme lui aussi (plus dur que celui de Bonjour l’asile) débouche sur un affrontement binaire entre les êtres humains. Avec Souheila Yacoub et Adèle Exarchopoulos de chaque côté d’un monde où la virtualité sauve et condamne. Ce sont la comédie romantique, le mélodrame, la comédie musicale et un futur déjanté qui crépitent et s’entrechoquent dans Les Reines du drame d’Alexis Langlois. Des chanteuses (Mimi Madamour et Billie Kohler campées par Louiza Aura et Gio Ventura) s’aiment et se déchirent au fil du temps, et un youtubeur déchaîné (Bilal Hassani alias Steevyshady) sert de guide, entre idolâtrie et détestation, et intox et botox.
Les sentiments sont forts, exacerbés, dans ces fresques qui revisitent le temps, des années 1990 (Leurs enfants après eux) aux années 2000 (Les Reines du drame), d’aujourd’hui au futur anticipé (2039 pour Planète B / 2055 pour Les Reines du drame). Les couleurs y tranchent, y crépitent, y scintillent, entre vie et mort. Par trajets linéaires dans un récit ramassé dans le temps, ou par étapes dans un romanesque coloré (les quatre étés de Leurs enfants après eux / les cinquante années des Reines du drame). C’est dans le format court qu’un ralentissement a lieu. Celui de la déambulation, de la cité et de la verdure, du bitume et des parcs, en plein Paris, encore, grâce à Robespierre de Pierre Menahem et Montsouris de Guil Sela. Un temps pour la recherche et la balade, qui autorise aussi le doute et le champ des possibles, au gré des rencontres et des heures écoulées. Que ce soit un jeune homme de retour après une longue absence, ou des copains en pleine quête documentaire. Le vent souffle où il veut, et le cinéma capte ses bourrasques.
Rendez-vous en 2025 !
Palmarès du 33e Festival du Film de Sarlat
SALAMANDRE D’OR DU PUBLIC
Rabia de Mareike Engelhardt
SALAMANDRE D’OR DES LYCÉENS
Planète B d’Aude-Léa Rapin
SALAMANDRE D’OR DU JURY JEUNES
Rabia de Mareike Engelhardt
SALAMANDRE D’OR D’INTERPRÉTATION
Megan Northam dans Rabia de Mareike Engelhardt
Benjamin Voisin dans Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin
SALAMANDRE D’OR DU JURY COURTS-MÉTRAGES
Robespierre de Pierre Menahem
Mention spéciale Montsouris de Guil Sela
PRIX DES MEILLEURS FILMS LYCÉENS
1er prix : Picz du lycée Jean Monnet de Saint-Étienne
2e prix : Le Roi des cons du lycée Jean XXIII de Montigny-lès-Metz
3e prix : Pause café du lycée Joséphine Baker de Pré de Cordy
Coup de cœur de l’école 3IS : Qui est Charlie ? du lycée Max Linder de Libourne