Au résultat des courses, les sept films de la sélection officielle de la 31e édition du Festival du film de Sarlat auront dessiné une cartographie cohérente et remuante. Sept longs-métrages français qui racontent le trouble. Qu’ils soient primipares (Les Pires, La Passagère) ou non (Nos frangins, Pour la France, Reste un peu, Les Miens, Le Torrent), les cinéastes s’emparent de destinées travaillées par des doutes profonds. Des révolutions intérieures, de l’intime au collectif, de l’onde personnelle au mouvement de masse.
Comment capter la lisière poreuse entre le réel et la fiction ? Une véritable préoccupation, féconde pour les scénaristes et cinéastes en jeu, qui cherchent et expérimentent, avec des personnages forts. Dans Reste un peu, Gad Elmaleh s’interroge sur sa spiritualité, sur son rapport à la religion, et se frotte à son héritage et à son lien familial, en se filmant lui-même, avec ses parents, sa sœur et ses amis, dans une autofiction « ovniesque ». Une interrogation spirituelle à l’œuvre aussi chez Malik Oussekine dans Nos frangins.
Dans Les Miens, Roschdy Zem fictionne un accident de son frère, qui a choqué et remis en jeu leur famille, et incarne aussi lui-même cette histoire, avec sa famille de cinéma (Sami Bouajila, Rachid Bouchareb) et avec sa propre descendance (sa fille Nina Zem). Dans Pour la France, Rachid Hami reconstitue par le romanesque et l’aventure le drame, le trauma et la quête de vérité autour de la mort de son frère, en plein bizutage à l’école militaire de Saint-Cyr.
Dans Nos frangins, Rachid Bouchareb recrée la France et le Paris de 1986, pour replonger en fiction dans la tragédie de la mort parallèle de Malik Oussekine et d’Abdel Benyahia. Dans Les Pires, Lise Akoka et Romane Guéret mettent en scène sous forme romanesque leur propre expérience et leurs observations de directrices de casting et de réalisatrices, autour de la création et de l’accompagnement de jeunes interprètes, du casting au tournage d’un film, dans le nord de la France.
Dans La Passagère, Héloïse Pelloquet immerge son film dans un monde et des lieux qu’elle connaît (la pêche, Noirmoutier), affectionne et a déjà illustrés dans ses courts métrages, pour raconter la révolution progressive d’une femme, bouleversée par le surgissement d’un autre homme dans sa vie. À l’autre bout de l’échelle de la fiction, Anne Le Ny s’empare dans Le Torrent du cinéma de genre et des codes du thriller, pour filmer la lente chute d’un homme, de son foyer, de sa famille, suite à la mort de sa femme. Cet autre objet du spectre proposé se trouvait d’ailleurs placé en clôture de la sélection officielle, et à une place non compétitive, comme pour entériner sa différence.
Toutes ces œuvres ont en commun aussi de travailler, malaxer, mettre à mal et en lumière la transmission, le lien viscéral, familial, filial, parental, fraternel. Tous ces fils essentiels qui tissent la toile de la construction existentielle de chaque être humain. De cette confrontation à l’autre dès les relations les plus proches, naît l’idée de l’intégration. De l’inclusion. De la compréhension. Un fer de lance que Nos frangins (récompensé par la Salamandre d’or) et Pour la France (Prix des lycéens) illustrent avec conviction et intensité. La multiplicité, la diversité, la richesse, et cette croyance ou cet espoir dans l’idée de « faire partie de », d’être avec, comme l’incarnent dans leur chair ces jeunes hommes français d’origine maghrébine, sacrifiés, qui étaient eux aussi la France dans toute sa lumière.
Dans sa vidéo de remerciements pour son prix d’interprétation masculine, décerné par le jury jeune pour sa performance dans Pour la France, Karim Leklou a répété ses encouragements à la jeunesse à croire en ses rêves et à les défendre. Et l’acteur d’ajouter : « Le monde va mal, il a besoin de votre aide ». Présente en nombre durant tout le festival, cette puissance juvénile attisait toutes les attentions. L’occasion d’une rencontre express avec deux élues du jury jeune. Alicia Champion et Anaëlle Sauret sont élèves en classe de terminale spécialité cinéma, au lycée Pierre et Marie Curie de Châteauroux.
Quel bilan tirez-vous de votre expérience au Festival de Sarlat ?
Alicia Champion : C’était très enrichissant. On ne s’attendait pas à être prises en charge à ce point-là, et à faire autant de choses. On a énormément profité, rencontré un grand nombre de personnes, et on a créé du lien avec les autres membres du jury.
Anaëlle Sauret : On a eu un emploi du temps chargé, entre nos activités conjointes de jurées et le programme de l’option cinéma. Nous n’avons pu voir que deux films, en plus des six de la sélection officielle en compétition pour nos prix. On a pu assister à un atelier du savoir, celui consacré à la profession de cheffe costumière, et à la conférence sur Fellini bien sûr.
Vous avez dix-sept ans, comment vous projetez-vous dans l’avenir ?
Anaëlle Sauret : J’aimerais travailler dans tout ce qui est technique, et principalement dans les décors ou dans les costumes. Mais pourquoi pas dans l’image et dans la direction de la photographie.
Alicia Champion : Je suis davantage intéressée par le domaine de la réalisation. Mais je ne veux pas me limiter, et j’aimerais essayer d’autres choses, étant passionnée par l’audiovisuel en général. Pourquoi pas du côté des plateformes ou des réseaux sociaux comme YouTube ou Twitch, qui m’attirent beaucoup.
Quelle place le cinéma tient-il dans vos vies ?
Alicia Champion : Étant personnellement engagée dans de nombreux domaines, j’aimerais beaucoup pratiquer ce métier pour transmettre mes idées, et créer des films eux aussi engagés sur certaines thématiques.
Anaëlle Sauret : Le cinéma développe mon imagination. Quand je vois des films, j’atteins des mondes inconnus, différents, uniques, ce qui reste toujours incroyable.
Sentez-vous qu’il y a de l’espace pour vous, à la hauteur de vos espérances ?
Alicia Champion : On n’a pas l’impression d’avoir de la place, on sait que c’est très compliqué, même au niveau des études. Mais, puisqu’on y croit et qu’on en a vraiment envie, on va tout faire pour. Même si on a des doutes, on essaie d’oublier et de foncer. On verra bien ce qui se passe.
Anaëlle Sauret : C’est vraiment difficile ! Mais, rencontrer toutes les personnalités et célébrités du cinéma présentes à Sarlat, discuter avec elles, nous apporte la preuve concrète que c’est possible.
Alicia Champion : Même si cela fait un peu peur d’être mises face à leur niveau, et de se dire « mais comment on va faire pour l’atteindre un jour ? », c’est très motivant de se dire, qu’un jour, on pourrait nous aussi construire de telles carrières.
Olivier Pélisson
Le palmarès du 31e festival du film de Sarlat
LA SALAMADRE D’OR DU MEILLEUR FILM, PRIX DU PUBLIC
Nos frangins de Rachid Bouchareb
LE PRIX DES LYCÉENS
Pour la France de Rachid Hami
LE PRIX DU JURY JEUNE
Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret
LE PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE
Mallory Wanecque dans Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret
LE PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE
Karim Leklou dans Pour la Francede Rachid Hami
LE PRIX DU JURY DES COURTS MÉTRAGE
Cui Cui Cui de Cécile Mille
Mention spéciale Ville Éternelle de Garance Kim
LES PRIX DES MEILLEURS FILMS DE LYCÉENS
1er prix : Vilain Petit Doudou du lycée Jean XIII de Montigny Les Metz
2er prix : Le Secret du Landy du lycée Suger de Saint-Denis
3e prix : XIII du lycée Pierre et Marie Curie de Châteauroux
Coup de cœur ESEC : Renaissance du lycée Leconte De Lisle de Saint-Denis de la Réunion