Festival du Film de Sarlat 2023

Jour#2 : Karim Leklou plein cadre

De retour à Sarlat un an après son prix d’interprétation masculine pour sa composition de frangin meurtri et rageur dans Pour la France de Rachid Hami, Karim Leklou dynamite la sélection officielle dans le rôle-titre de Vincent doit mourir. Ce film de survie et d’amour, à la croisée des genres, est aussi le premier long-métrage signé Stéphan Castang. L’occasion en or pour dialoguer avec ce comédien hors pair, qui enchante le cinéma français de sa présence protéiforme et de son regard puissant, depuis bientôt quinze ans.

Au-delà de la peur, Vincent doit mourir mélange les genres, mais c’est aussi un film au réalisme percutant.

Complètement. Le film de genre pour le genre, quel qu’il soit, ne détermine pas mon choix. Vincent doit mourir permet un mélange des genres et un regard distancié, mais il reste très collé au monde qui nous entoure, avec quelque chose d’extrêmement fort, comme toutes les dimensions de la violence, qui me touche. Pas une violence rigolote, esthétisée, mais une violence parfois nulle, absurde, sale, voire dérangeante, et qui parle de notre société. J’aime ce film qui est une histoire d’amour dans un monde brutal. C’est quelque chose que j’avais envie de jouer. Il y a aussi une profondeur dans ce qui est raconté par les corps. La scène de la fosse sceptique, avec deux personnages qui se battent pour survivre dans de la merde, raconte bien notre société actuelle.

Camper un personnage soumis jusqu’au pire au regard des autres, quand on est soi-même dépendant du regard et de l’appréciation en tant qu’acteur, c’est jouissif ou troublant ?


C’était effectivement drôle de jouer avec la caméra sur ce film-là.  Toute ma gratitude va aussi à Manuel Dacosse, qui est un très grand directeur de la photographie. Il y avait un jeu du chat et de la souris, entre lui, qui devait capter mon regard, et moi, qui devais éviter le regard. C’était une nouvelle approche, tout de même contradictoire, et pouvant déboucher sur des instants précieux quand les personnages se regardent, comme dans l’une des scènes de fin, dans la voiture avec Margaux/Vimala Pons, où tout passe par les yeux et non pas par les mots. C’est beau, deux regards qui s’affrontent.

C’est un film très physique. Y a-t-il eu un travail de préparation et de chorégraphie pour les courses, les fuites, les luttes, les étreintes ?

Les répétitions ont consisté essentiellement en un travail sur le corps. On a abordé le film comme une page blanche, sans anticiper les réactions ni devancer les sentiments, pour que tout naisse du corps. On a beaucoup travaillé avec le directeur de cascade Manu Lanzi et ses équipes, que ça amusait beaucoup, parce qu’ils déstructuraient leur travail. L’idée était de faire oublier que tout était réglé, pour donner l’impression du sale. Si on n’était pas à l’aise, on cherchait autre chose. C’était comme une danse. Le bon chorégraphe est celui qui vous donne le sentiment que la chorégraphie vous appartient. Comme dans la scène de la fosse sceptique, dont la difficulté dépassait tout le monde, même Stéphan Castang. C’était passionnant, parce qu’on savait ce matin-là, en arrivant sur le plateau, qu’on rencontrerait cette scène une fois dans notre vie.

Face à vous, il y a Vimala Pons, actrice, circassienne, performeuse, artiste protéiforme.

Travailler avec Vimala Pons est passionnant. Je la trouve fantastique. Je l’ai vue sur scène, avec la profondeur de ses textes et de qui elle est. Le film exploite sa mélancolie, sa tristesse, sa beauté, sa candeur, des sentiments très contrastés. C’est l’une des plus grandes actrices françaises, elle sait tout jouer. C’est une chance formidable de jouer avec elle, à tel point que je n’imaginais pas faire Vincent doit mourir sans elle, parce que je sentais qu’elle allait donner une dimension à son rôle, qui allait sortir le film de là où on l’attendait. Stéphan et Vimala, c’était non négociable pour moi. Ce sont des personnes très délicates dans le rapport humain, avec de la contradiction, de la tendresse et une exigence très forte.

Karim Leklou et Stéphan Castang. Copyright Charlotte Mano / Festival de Sarlat. D.R.
Quel réalisateur est Stéphan Castang ?

Un réalisateur passionnant, et plongé dans le travail de manière très concrète. Nous avons beaucoup discuté en amont, et mis en place de nombreux dispositifs de mise en scène, par exemple pour la timidité et la maladresse, qu’il a filmées pour la première rencontre avec Margaux. C’est un bourreau de travail, avec une vision en place dès le départ. Il sait où il veut aller, mais reste toujours dans la collaboration intellectuelle, avec les acteurs comme avec tous les chefs de poste, qu’il ne bride pas. C’est agréable d’avoir ce mélange de vrai regard et d’invitation à réfléchir au film. Il a le sens du collectif, avec une vision délicate de son projet, mais aussi tendre et monstrueuse de l’être humain.

Dans votre vidéo de remerciements pour votre prix d’interprétation masculine à Sarlat l’an dernier, vous encouragiez la jeunesse à croire en ses rêves, tout en lui déclarant : « Le monde va mal, il a besoin de votre aide ». Que diriez-vous aujourd’hui ?

Il y a dans le cinéma d’aujourd’hui toute une génération de jeunes acteurs, cinéastes, scénaristes, qui s’interrogent, qui font bouger les choses, et que l’on a tendance à condamner. Je trouve le discours général sur la jeunesse pessimiste et passéiste, alors que beaucoup de choses bougent aujourd’hui grâce aux jeunes. Je n’en suis plus un, je suis passé à une autre catégorie, mais je me rends compte qu’une conscience politique très forte les anime, avec un goût du cinéma différent, que des jeunes actrices et acteurs sont portés par d’autres convictions, et que c’est magnifique. Il ne faut rien lâcher, même dans le cinéma, hérité d’un système qu’il faut faire perdurer. Il faut que la création française reste dynamique.