Ça y est, c’est fini. Depuis 35 ans, le Festival Premiers Plans continue son travail de défricheur de talents et accélérateur de particules artistiques du cinéma européen. Mission accomplie, cette année encore.
Il faut de tout pour faire un festival. Et, pour faire un festivalier, à Premiers Plans, il est nécessaire d’avoir le don d’ubiquité, tant couvrir une telle ventrée de cinéma en une petite huitaine de jours est pure folie. Au long de la 35e édition de ce beau festival pléthorique et chaleureux, les salles étaient pleines de spectateurs de tous âges, que ce soit pour les six rétrospectives, avant-premières et séances spéciales, pour les lectures de scénarios ou les projections des courts-métrages et longs- métrages européens. Au terme d’une compétition de très haute tenue, où surnagent le nostalgique Aftersun de Charlotte Wells (sortie le 1er février), l’impétueux Chevalier noir de Emad Aleebrahim-Dehkordi (Grand Prix du Jury, sortie le 22 février) ou le délicat Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan (sortie non encore déterminée), tous trois au palmarès du jury présidé par Mia Hansen-Løve, notre coup de cœur va au film qui a fait bidonner la grande salle du Centre de Congrès et récolté le Prix du Public : Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (sortie le 19 avril).
Ce n’est pourtant pas une comédie. C’est même plutôt un drame social, mais allons bon, il est drôle ! Nous sommes dans un petit village de l’Hérault, Le Pouget, où des jeunes gens tuent l’ennui et tournent en rond. Le soir, ils zonent sur une placette juchés sur un banc, fumant des joints, descendant des bières et balançant des vannes. C’est une histoire d’amitié, de solitude aussi. Et de manque de perspectives. Pour eux, il n’y a pas beaucoup d’avenir, à part peut-être se tirer, partir pour l’armée ou bâtir des châteaux en Espagne. Il y a là Miralles, grand gars dégingandé au large sourire d’enfant, hâbleur, tchatcheur ; il est le meneur, celui qu’on écoute, qui fait rire le cercle des copains, les effraie un peu aussi. Il gagne sa vie en vendant du shit et son business est florissant. Son autorité naturelle s’exerce sur son chien, Malabar, qu’il a dressé avec amour et dont il se sent le « papa ». Elle s’exerce aussi sur son meilleur pote, Dog, le doux, le tendre, le soumis, celui qui sourit en coin et regarde par en dessous. Entre eux, c’est pour la vie, on n’envisage pas l’un sans l’autre, à tel point que lorsque la blonde Elsa déboule pour trois mois afin de garder la maison de sa tante, Miralles, qui se demande ce que cette meuf peut bien avoir de plus que lui, commence par demander à Dog s’il lui plairait s’il était une fille. Ce qui se joue là, de la difficulté de s’y retrouver quand le monde se referme sur vous, est tout simplement bouleversant.
On pourrait croire qu’on a déjà vu ce film, sur des jeunes glandeurs de bled paumé, sur deux compères qu’une demoiselle risque de séparer, mais dès les premières images, la lumière mordorée sur les toits du village, la beauté un peu désolée des Causses alentour et aussi la vérité des visages de ces jeunes gars si vivants, si attachants, alliée au rythme staccato de leurs accents chantants, un sentiment différent s’installe sur l’écran. Une délicatesse. Une vérité. Dans Chien de la casse, rien ni personne n’est tout à fait ce qu’il semble être ; il y a ce qu’on paraît et ce qu’on est au fond. Tout est résumé dans le nom du chien : qu’est-ce qu’un malabar ? Un gros costaud et aussi un chewing-gum de notre enfance. Pour s’efforcer de voir la vie en rose, Miralles, mine de rien, y met du sien, lui qui chaque jour remonte les rues de son village, chemin identique, tel Sisyphe poussant un fardeau invisible, mais bien là. Les dialogues jamais fabriqués, mais très intriqués au moment, à l’instant, sont d’une drôlerie insensée. Des notes de piano classique viennent doucement caresser les âmes rebelles. Raphaël Quenard et Anthony Bajon forment un duo aussi fusionnel que désaccordé et réinventent par leur jeu instinctif, leur puissance de feu, l’innocence de leurs violences, les grands antagonistes que le cinéma nous a si souvent racontés. Et de ces grands mômes un peu fracassés qu’ils habitent à la perfection, on découvre, au fond, que ce qui les effraie le plus, c’est d’accepter de changer. De grandir.
Dans la catégorie courts-métrages, le choc du Festival est un documentaire écolo, qui n’a pas besoin de grands discours pour vous glacer les sangs. Haulout de Evgenia Arbugaeva et Maxim Arbugaev parle d’une invasion, chaque année plus meurtrière, constatée par un veilleur solitaire dans un coin d’Arctique. C’est la marée à perte de vue des morses, qui n’ont pas un morceau de glace pour se poser depuis le réchauffement climatique. Quasi sans paroles, avec des plans hallucinants de mammifères agglutinés, au son de leurs grognements déchirants, le film est d’une force incroyable. Chapeau bas et Grand Prix du Jury. Sur ce, le rideau se referme sur la 35e édition de Premiers Plans. Vive la 36e ! Vivement la 36e…
Palmarès Premiers Plans 2023
• Longs-métrages européens
Jury Longs-métrages : Mia Hansen-Løve (Présidente), Rebecca Marder, Mikhaël Hers, Jean-Baptiste de Laubier, Félix Moati.
- Grand Prix du Jury
Chevalier noir de Emad Aleebrahim-Dehkordi (Iran/France/Allemagne)
- Prix Mademoiselle Ladubay (Prix d’interprétation féminine)
Frankie Corio dans Aftersun de Charlotte Wells (Royaume-Uni)
- Prix Jean Carmet (Prix d’interprétation masculine)
Quentin Dolmaire dans Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan (France)
- Prix du Public (Prix Jeanne Moreau)
Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (France)
• Prix Diagonales
Jury Diagonales : Vincent Le Port (Président), Youna de Peretti, Anne-Juliette Jolivet.
- Grand Prix du Jury Diagonales
Unrest de Cyril Schäublin (Suisse)
Mention Spéciale du Jury
Fragile Memory de Igor Ivanko (Ukraine/Slovaquie)
- Courts-métrages européens et français
Jury Courts-métrages et films d’école : Samir Guesmi (Président), Alice de Lencquesaing, Julie Lecoustre.
- Grand Prix du Jury – Courts-métrages européens
Haulout de Evguenia Arbugaeva et Maxim Arbugaev (Royaume-Uni)
- Mention Spéciale du Jury – Courts-métrages européens
Euridice, Euridice de Lora Mure-ravaud (Royaume-Uni)
- Prix du Public– Courts-métrages européens
It’s Nice in Here de Robert-Jonathan Koeyers (Pays-Bas)
- Grand Prix du Jury – Courts-métrages français
Ex aequo
Ville éternelle de Garance Kim
Ne pleure pas Halima de Sarah Bouzi
- Prix d’interprétation féminine – Courts-métrages français
Solène Salvat dans Nuits blanches de Donatienne Berthereau
- Prix d’interprétation masculine – Courts-métrages français
Djibi Diakhaté dans Frayade Clémentine Delbecq
- Prix du Public– Courts-métrages français
Rapide de Paul Rigoux
- Prix des Bibliothécaires
Coupeur de route de Christophe Granger
- Prix des Jeunes Cinéphiles
Fraya de Clémentine Delbecq
Mention spéciale : Ne pleure pas Halima de Sarah Bouzi
- Films d’école
- Grand Prix du Jury
Runaway de Salome Kintsurashvili (Géorgie/Russie)
• Prix du Public
Radiadio de Ondine Novarese (France)
- Prix Arte
Carp Xmass de Anna Heribanová (République Tchèque)
• Prix des Étudiants d’Angers
Night Ride de Vida Skerk (Croatie)
- Lectures de scénario
- Prix du Public et Prix Fondation Visio pour un scénario de long-métrage
Les Fantômes de Jonathan Millet
Prix du Public et Prix Fondation Visio pour un scénario de court-métrage
Kotowari de Coralie Watanabe Prosper