Festival international du film de Marrakech 2024

Bilan et palmarès

C’est sous de bons auspices que s’est déroulé le tout récent Festival de Marrakech. Chiffres en hausse, films à foison, vedettes à gogo, et récompenses du jury présidé par Luca Guadagnino fortement politiques.

La 21e édition du Festival international du film de Marrakech a de nouveau connu un très beau succès, et dépassé ses records de fréquentation. Une très bonne nouvelle pour le rayonnement du cinéma dans le Maghreb et en Afrique, et pour le dynamisme des projets et des regards centrés ailleurs qu’en Occident. Le palmarès du jury sonne quant à lui comme une revendication politique et humaine forte. Les neuf jurés, dont le président Luca Guadagnino, ont affirmé leur geste en récompensant deux films de deux prix majeurs.

Tout d’abord, les chiffres du Festival de Marrakech 2024 sont réjouissants : 40 000 spectateurs dans les salles, dont 7500 enfants pour le programme jeune public, 300 professionnels marocains, 170 médias représentants 390 accréditations du monde entier, pour graviter autour de 71 films issus de 32 pays, et de 15 conversations avec 18 figures du 7e art international. Sans compter le volet industrie des Ateliers de l’Atlas, qui a réuni 340 participant.e.s autour de 27 projets de longs-métrages, du développement à la postproduction.

L’internationalité brillait dans les différentes sections filmiques : compétition, séances de gala, séances spéciales, 11e continent, panorama du cinéma marocain, jeune public et famille. Un florilège de films pour tous les goûts, égrenés dans divers lieux de la cité marrakchie: Palais des congrès, cinéma le Colisée, Théâtre Meydene et Musée Yves-Saint-Laurent. Les conversations, qui ont doublé depuis l’an dernier, ont vu se succéder une brochette d’artistes à donner le tournis : David Cronenberg, Justine Triet, Abderrahmane Sissako, Tim Burton, Alfonso Cuaron, Ava DuVernay, Kirill Serebrennikov, Sean Penn, Mohammad Rasoulof, Todd Haynes, Walter Salles, Gemma Arterton, François Ozon, Justin Kurzel, et une première à Marrakech, quatre cinéastes nationaux de la nouvelle génération qui bouge les lignes : Yasmine Benkiran (Reines), Alaa Eddine Aljem (Le Miracle du saint inconnu), Ismaël El Iraki (Burning Casablanca) et Kamal Lazraq (Les Meutes), dans un échange passionnant avec le public.

Parmi les quatorze œuvres en compétition, le jury a donc choisi de distinguer deux films par deux fois. Les fresques humaines Happy Holidays du Palestinien Scandar Copti et Under the Volcano du Polonais Damian Kocur ont ainsi reçu l’Étoile d’or et un double prix d’interprétation féminine pour Manar Shehab et Wafaa Aoun pour le premier, ainsi que le prix de la mise en scène et de l’interprétation masculine pour Roman Lutskyi pour le second. Luca Guadagnino et ses jurés Virginie Efira, Andrew Garfield, Patricia Arquette, Santiago Mitre, Zoya Akhtar, Ali Abbasi, Nadia Kounda et Jacob Elordi ont ainsi fait preuve d’engagement politique, en plus de défendre des gestes créatifs remarqués, en pleine actualité du monde tragique. Happy Holidays se situe à Jérusalem et suit les répercussions sur divers personnages d’un incident qui révèle la complexité de la réalité entre membres d’une famille et couple mixte Juive-Palestinien. Under the Volcano décrit les jours et heures progressivement tendues d’une famille ukrainienne recomposée, en vacances à Tenerife, où elle se retrouve bloquée quand la Russie envahit l’Ukraine. Deux fictions qui affrontent le réel du monde à travers des enjeux scénarisés, mais à l’écho fortement réaliste et pertinent.

Le Village aux portes du paradis ©️ Jour2fête

Au palmarès des quatre films primés se distingue également un premier long-métrage lumineux et épatant. Le cinéaste somalo-autrichien Mo Harawe livre une véritable pépite avec Le Village aux portes du paradis, révélé à Un Certain Regard à Cannes. C’est le portrait d’une famille en Somalie qui affronte l’actualité climatique, sociale, politique, la guerre civile et l’héritage colonialiste, avec une science et une méticulosité dans le filmage du quotidien, entre soleil, chaleur, vent, rêves et (dés)illusions. Mais toujours avec une énergie souterraine dénuée de pathos et de complaisance. Une révélation, saluée par le Prix du jury, ex æquo avec la chronique argentine La Quinta de Silvina Schnicer. Parmi les concurrents primés, un seul est daté en salle en France à ce jour. Le Village aux portes du paradis est annoncé pour le 9 avril 2025.

Au milieu des autres opus compétitifs, mais absents des lauréats, notons aussi le premier long turc One of Those Days When Hemme Dies de Murat Firatoglu, périple d’un ouvrier en champ de tomates sous forme de Revenge Movie social, désamorcé par la déambulation et l’altérité ; le second long-métrage documentaire australien The Wolves Always Come at Night de Gabrielle Brady, où la réalisatrice cisèle le portrait d’un berger des temps modernes en Mongolie, entre dérive climatique, âpreté de la survie et émotion contenue ; et la deuxième œuvre long format de Saïd Hamich, La Mer au loin, lancée sur la Croisette à la Semaine de la Critique, en salle le 5 février prochain, et qui suit sur dix ans un émigré marocain à Marseille, entre romanesque émouvant et chaotique, rencontres décisives et accompagnement par la musique raï.

Palmarès du 21e Festival international du film de Marrakech

ÉTOILE D’OR
Happy Holidays de Scandar Copti (Palestine/Allemagne)

PRIX DU JURY ex aequo
Le Village aux portes du paradis de Mo Harawe (Autriche/Somalie) et La Quinta de Silvina Schnicer (Argentine)

PRIX DE LA MISE EN SCENE
Damian Kocur pour Under the Volcano (Pologne)

PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE
Manar Shehab et Wafaa Aoun dans Happy Holidays de Scandar Copti (Palestine)

PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE
Roman Lutskyi dans Under the Volcano de Damian Kocur (Pologne)