Le jury de la 20e édition du Festival international du film de Marrakech a rendu son verdict samedi 2 décembre. Jessica Chastain et son équipe auront fait corps pendant huit jours dans la ville ocre, avec les quatorze longs-métrages de la compétition officielle. Les cinq prix finaux dessinent une cartographie engagée d’un cinéma vif et défricheur. Et le prix majeur, l’Étoile d’or, revient pour la première fois à un film marocain : La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir.
Jessica Chastain, Zar Amir, Camille Cottin, Dee Rees, Joanna Hogg, Leïla Slimani, Joel Edgerton, Tarik Saleh, Alexander Skarsgard. Ces neufs noms composaient le jury de la cuvée numéro 20 du festival marrakchi. Des actrices, des acteurs, des réalisatrices, des réalisateurs et une auteure. Un groupe classieux et hétéroclite, et très féminin, avec six femmes et trois hommes, chose rare dans un jury de manifestation d’envergure internationale. La compétition officielle était également marquée par une forte présence des réalisatrices, à la tête de huit des quatorze longs-métrages en lice pour l’Étoile d’or. C’est une femme qui a remporté le gros lot, avec un documentaire, et qui porte haut le cinéma marocain, pour la première fois sur la première marche du podium à Marrakech.
La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir continue sa belle lancée entamée au dernier Festival de Cannes, où l’œuvre a décroché le Prix de la mise en scène de la section Un Certain Regard. Ladite section cannoise avait également primé l’autre film marocain aussi en compétition au Maroc, Les Meutes, qui vaut à son réalisateur Kamal Lazraq (voir notre entretien) le même trophée à Marrakech : le Prix du jury, ex æquo avec Bye Bye Tibériade de Lina Soualem. Une belle nouvelle pour le septième art national, qui se voit salué avec la présence de deux longs du pays dans la compétition à Marrakech, événement rare. Toutes sections confondues, la manifestation a totalisé treize films longs nationaux, avec notamment le Panorama du cinéma marocain. Une première, et un signe de vitalité digne d’être noté, dans un territoire qui produit chaque année une vingtaine de longs-métrages.
La Palestine, le Sénégal, la Turquie et la Bosnie-Herzégovine figurent aussi au palmarès. Marque d’une prégnance de l’Afrique, du monde arabe, et de territoires variés au sein des premiers et seconds longs-métrages constitutifs de la compétition marrakchi. La jeunesse y était vibrante et initiatique, rebelle et résistante, malgré les diktats politiques, de la Turquie de Dormitory de Nehir Tuna (prix d’interprétation masculine pour Doga Karakas) au Chili de Penal cordillera de Felipe Carmona, malgré les troubles historiques, du Madagascar de Disco Afrika de Luck Razanajaona au Kosovo de Notre monde de Luana Bajrami. et malgré les injonctions sociétales, avec le Brésil évangéliste et homophobe du Pedagio de Carolina Markowicz.
La juvénilité y était troublée par les drames, grands ou petits, deuil ou maladie, dans la famille colombienne d’El otro hijo du Juan Sebastian Quebrada, ou britannique du Tuesday de Daina O Pusic, dans la communauté scolaire bosniaque d’Excursion d’Una Gunjak (prix d’interprétation féminine pour Asja Zara Lagumdzija), ou dans la bourgade écossaise du Silent Roar de Johnny Barrington. Mais l’amour révèle les êtres, avec l’ado énamouré dans la Mongolie multiculturelle de City of Wind de Lkhagvadulam Purev-Ochir, et la protagoniste obsédée jusqu’à la folie par son attachement à son mari, dans le village sénégalais de Banel & Adama de Ramata-Toulaye Sy, récompensé par le prix de la mise en scène.
Au final, le jury a salué une bonne partie du meilleur de la compétition. Via deux réalisatrices documentaristes qui creusent dans un même sillon leur héritage familial, et voyagent au sens propre et/ou figuré pour donner à voir leurs racines et le monde d’où elles viennent, dans un émouvant mouvement de partage. Asmae El Moudir choisit avec La Mère de tous les mensonges de passer par le truchement des marionnettes, des maquettes et des décors de poupées pour raconter et faire parler. Lina Soualem, quant à elle, accompagne sa mère Hiam Abbass, dans un périple bouleversant sur la mémoire, sur la transmission, sur la terre quittée et retrouvée, via quatre générations de femmes dans Bye Bye Tibériade, prix du jury ex æquo. Un documentaire qui résonne d’autant plus actuellement qu’il a pour épicentre la Palestine et la question des origines et du territoire. Et puis Les Meutes, fascinante plongée nocturne dans les marges de Casablanca, sur les pas d’un duo père-fils aimanté et fatalement englué dans un road-movie poisseux.
La Mère de tous les mensonges, Bye Bye Tibériade et Les Meutes sont tous trois passés par les Ateliers de l’Atlas, volet industrie et professionnel de développement de projets, lieu de travail et d’échange vivace du Festival de Marrakech, créé en 2018. Une nouvelle preuve de sa portée féconde et essentielle dans l’accompagnement du jeune cinéma arabe et africain. Les trois opus partent aussi du terreau familial pour le creuser de manière atypique, dans chaque projet, par le ton, la facture, le documentaire ou la fiction, le voyage géographique ou intime. Avec Dormitory, El otro hijo et Banel & Adama, trio de premiers longs sensibles, complémentaires par leur maestria formelle (Dormitory), leur finesse existentielle (El otro hijo) et leur ampleur rebelle (Banel & Adama), ils constituaient le meilleur de cette belle édition compétitive 2023.
Par Olivier Pélisson
Palmarès du 20e Festival international du film de Marrakech
ÉTOILE D’OR
La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir (Maroc) (en salle le 28 février 2024)
PRIX DU JURY ex aequo
Les Meutes de Kamal Lazraq (Maroc) (déjà sorti le 19 juillet) et Bye Bye Tibériade de Lina Soualem (Palestine) (en salle le 24 avril 2024)
PRIX DE LA MISE EN SCENE
Ramata-Toulaye Sy pour Banel & Adama (Sénégal) (déjà sorti le 30 août)
PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE
Asja Zara Lagumdzija dans Excursion d’Una Gunjak (Bosnie-Herzégovine) (sortie à suivre)
PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE
Doga Karakas dans Dormitory de Nehir Tuna (Turquie) (en salle le 28 février 2024)
Festival de Marrakech 2023
Pour aller plus loin, le site officiel du festival :
marrakech-festival.com