Ce sont, pour l’heure, des images de papier. Des personnages, des situations, des émotions rêvés qui animent neuf auteurs sélectionnés par le Groupe Ouest et coachés par des scénaristes dans une résidence d’écriture en Bretagne. Récit en immersion.
C’est un jour attendu et redouté à la fois. Celui où Jean-Baptiste Durand, Lucile Hadzihalilovic, Germain Huard, Blandine Jet, Guillaume Kozakiewiez, Halima Ouardiri et Léa Triboulet vont devoir raconter en public le scénario sur lequel ils planchent depuis des mois (Houda Benyamina, la réalisatrice du très remarqué Divines, et son coscénariste Romain Compingt font partie de cette promotion, mais ils sont absents de cette session, appelés par un projet aux États-Unis). Dans une maison accueillante du village de Plounéour-Brignogan-Plages, où ils séjournent régulièrement depuis avril, ils répètent, chacun isolé, avant de filmer leur récit. C’est l’exercice délicat du « raconte-moi », qui confronte les auteurs aux villageois, l’une des étapes importantes instaurées par la résidence d’écriture du Groupe Ouest, créée en 2006 par les scénaristes Antoine Le Bos, Marcel Beaulieu et Yann Apperry (également romancier et dramaturge).
Une extrême bienveillance règne en ces murs. De la part des organisateurs, des coachs, des bénévoles qui viennent prêter main forte en confectionnant des repas ou en aidant aux transports. Tous sont là pour offrir les meilleures conditions de travail à ces auteurs triés sur le volet (8 ont été retenus sur 240 candidatures). Une résidence comme celle-ci, c’est un moment hors du temps, loin du tumulte urbain et des contraintes quotidiennes, favorisé pour permettre à ces histoires de jaillir et de se structurer. Certains, comme Jean-Baptiste, les portent en eux depuis longtemps. Son Chien de la casse narre la fin d’une amitié entre deux amis d’enfance, dans un village, le temps d’un été. Lorsque cet ancien étudiant de l’École supérieure des Beaux-Arts de Montpellier évoque son projet, une forte détermination émane de lui. Jean-Baptiste veut réaliser lui-même ce premier long-métrage, lui qui a déjà tourné des courts et travaillé comme technicien pour le cinéma. Lucile Hadzihalilovic, elle, a déjà une filmographie comme réalisatrice (La Bouche de Jean-Pierre, Innocence, Évolution) et a travaillé comme productrice ou monteuse aux côtés de Gaspar Noé. La Reine des neiges est son projet de troisième long-métrage. D’autres encore, comme Blandine Jet, qui vient du spectacle vivant et gagne sa vie aujourd’hui comme scénariste, ne souhaite pas réaliser elle-même son script Le Bruit des anges. Il lui faudra trouver un réalisateur sensible à son univers.
Lors de ces semaines passées ensemble, tous ont autant affiné leur écriture que posé leur regard sur le projet de leurs consœurs et confrères, coachés par le scénariste et conteur Nicolas Buenaventura et le scénariste Marcel Beaulieu. « En réfléchissant aux difficultés rencontrées par les autres, on travaille sur notre propre scénario. Il y a un effet miroir. Personnellement, j’ai appris à épurer », résume Jean-Baptiste.
Les présentations du soir enregistrées, le groupe part prendre l’air. « On nous a beaucoup exhortés à la marche, pour délier notre pensée », raconte Halima. Le Groupe Ouest n’est pas né en Bretagne par hasard. Nous sommes ici sur la Côte des légendes, à la pointe du Finistère. Le ciel est dégagé, l’atmosphère iodée, l’énergie maritime palpable. À ce stade de création, le champ des possibles reste ouvert. Il faut voir le visage de Houda qui s’émerveille du paysage et se sent portée par ses personnages. Il faut entendre la voix douce de Lucille qui se prépare au face-à-face du soir comme on entre sur scène pour une première.
L’heure venue, des villageois curieux de découvrir ces histoires au premier stade de leur élaboration emplissent la salle. Le noir se fait et les vidéos de chacun sont diffusées, suivies d’une discussion entre les auteurs et le public.
On prend dès lors la mesure de la difficulté de « pitcher » un scénario pas tout à fait abouti encore. Léa s’est filmée à la table et raconte avec fougue son intrigue ; Germain, lui, fait dérouler les grandes lignes de son récit en marchant sur un sentier ; Hamila, elle, s’est mise en scène dans une voiture et joue avec une paire de lunettes son abracadabrante comédie douce-amère qui se tient « dans un pays probable, mais innommable, où les fils ont la charge de leur mère » – instant d’hilarité générale qui lui vaudra les deux prix décernés par le public et le droit de venir bénéficier de trois semaines supplémentaires en résidence. Dans l’esprit des spectateurs, des images naissent. Chacun se fait son propre film sur la base des mots énoncés. « Est-ce qu’on verra le héros enfant ? », demande une femme à Jean-Baptiste. « Vous n’avez pas peur de nous faire trop pleurer ? », s’inquiète une autre après la présentation de Blandine.
Il y a quelque chose de très émouvant à découvrir ces films de papier racontés par des auteurs passionnés qui se confrontent pour la première fois à un public. Leur chemin à chacun est encore long. Mais à voir l’évolution de plusieurs projets écrits en résidence au Groupe Ouest – Divines, Les Innocentes, Adama, Godless (Léopard d’or à Locarno en 2016) – la promotion 2017 peut, elle aussi, croire en ses désirs.