Une petite incursion au festival Cinemed à Montpellier donne un aperçu d’une cinéphilie vibrante et engagée aux couleurs éclectiques du sud.
C’est le bel âge pour le festival Cinemed et sa 41 e édition. À Montpellier, l’événement est toujours très suivi. Au gré d’une section compétitive de longs et courts-métrages contemporains, d’un panorama fourni, d’invités d’honneur prestigieux (cette année, notamment André Téchiné, Paolo Virzi et Leoluca Orlando, emblématique maire de Palerme et président de cette session), d’hommages divers, dont l’un à la volcanique Anna Magnani, d’avant-premières, de séances spéciales, de trésors et de découvertes, de laboratoires et de master class, en passant par des stages pédagogiques et les exercices pratiques d’étudiants journalistes œuvrant chaque jour à la couverture quasi en direct du festival. Une ruche. E la nave va, pourrait-on dire de ce gigantesque cargo, à l’image du Corum de Montpellier, bâtiment bunker et cœur battant sur le flot de ces images offertes de la Méditerranée. Car Cinemed poursuit sans relâche sa ligne éditoriale et géographique, celle du « festival cinéma méditerranéen » ayant pour horizon la mer ancestrale, mère des peuples et des terres qui l’entourent, âme vive de l’Europe du Sud, de l’Afrique du Nord, de l’Asie de l’Ouest.
Le cap est solidement maintenu par son directeur Christophe Leparc, qui prône « la transmission, l’héritage, la famille et la filiation » au détour des questions politiques du moment, d’un soutien aux migrants, rassemblant les officiels présents comme une évidence, le Ministère de la Culture, le CNC, la Région Occitanie, sans oublier Montpellier Métropole, ville invitante au climat doux (mais cette fois-ci sous la pluie), écrin d’un public qui fait la claque au générique du festival à chaque séance. L’esprit reste jovial, à l’image du soleil régnant en maître au dessus de l’actualité brûlante et du chaos du monde.
Les Épouvantails en témoigne, nouveau film de Nouri Bouzid en compétition avec un sujet tabou en Tunisie et pas seulement, tant il concerne tout le monde : que faire des femmes qui, ayant fui leur pays pour la Syrie, décident finalement de rentrer chez elles ? Rejetées par la société, qui peut les prendre en charge ? Ce petit film écrit dès 2011, et produit avec beaucoup de difficulté, montre combien rien n’est résolu huit ans plus tard. Avec sa vision humaniste, Bouzid a la bonne idée de suivre Zina, jolie fille dont on ne saura jamais vraiment pourquoi elle est partie faire le djihad, se liant d’amitié à Driss, jeune homo tout autant déconcerté. Comme lui, elle ne parvient pas à se libérer du regard des autres. En dépit d’un procédé qui rend la mise en scène pesante – des gros plans systématiques censés renforcer le sentiment d’étouffement gâchent le propos -, le film tire un véritable signal d’alarme sur le poids d’une société qui préfère torturer les familles plutôt que d’assumer ses brebis égarées, entraînant parfois des dommages irrémédiables.
Cinemed permettait de prolonger cette même réflexion avec le très beau dernier film d’André Téchiné, L’Adieu à la nuit, où le cinéaste s’avère bouleversant dans sa volonté de comprendre de jeunes Français qui s’engagent à propager l’islam dans une guerre sainte. Les yeux de Téchiné sont ceux de Catherine Deneuve (l’actrice est née la même année que lui), un double impérial dans le rôle d’une grand-mère en lutte pour sauver coûte que coûte son petit fils (Kacey Mottet Klein), ceci jusqu’au dénouement final d’une finesse absolue.
En filigrane des combats et bien qu’ancien, le contraste des richesses qui opposent traditionnellement le nord, cultivé et opulent, au sud, misérable et affamé, reste également un leitmotiv prégnant, dont le festival se fait l’écho.
Le dernier film de Mimmo Calopresti, Aspromonte, La terra degli ultimi (section Panorama) donne un aperçu historique intéressant de ces clivages au travers de la chronique d’un village italien perdu dans la vallée d’Aspromonte, en 1950. Sans route, sans médecin, sans école (si ce n’est cette institutrice – Valeria Bruni Tedeschi – débarquant comme un cheveu sur la soupe dans ce paysage aride), les habitants n’ont d’autre choix que de se révolter contre leur sort et l’unique représentant politique du coin. Calopresti montre parfaitement comment le mélange des habitudes, de la tradition, des usages font le lit de la mafia, comment on mate la rébellion pour mieux préserver sa tranquillité ou ses acquis, comment l’ignorance est mère de tous les maux pour exploiter les hommes, notamment les plus pauvres.
C’est au fond le même ressort, celui d’une frontière sociale opposant nord et sud, qui est largement exploité dans l’exquise comédie Les Larmes de joie de Mario Monicelli, que Cinemed a eu le bonheur de reprogrammer cette année dans l’hommage rendu à La Magnani : le clou du film est hilarant, affinant magistralement la vision des castes : le trio menteur, voleur et fauché des Italiens (Anna Magnani, Toto, Ben Gazzara) est pris la main dans le sac et la honte au visage, chez de riches aristocrates allemands, fins et lettrés.
Yomedine de A.B Shawky, dans le cadre de l’hommage des films du producteur Mohamed Hefzy qui révolutionne à lui seul le cinéma égyptien, établit aussi une séparation, mais à l’intérieur même de l’Égypte : d’un côté se trouve le sud – là où Beshay le lépreux vit parmi les siens, point cardinal des parias et des immondices reculés du désert – en opposition à la situation du nord, où le protagoniste projette de retrouver une famille plus aisée, quasi un eldorado.
Plus au sud encore, repoussant les limites du cinéma traditionnel entre fiction, documentaire et surréalisme, Los pasos dobles (2011, prix du meilleur film à San Sebastian) est une expérience artistique poétique inédite parmi les œuvres de la rétrospective consacrée à Isaki Lacuesta, réalisateur catalan, dont Cinemed offre une singulière découverte. Son film, se situant au Mali, est sous l’influence de l’artiste contemporain Miquel Barcelo partant à la recherche des traces de François Augiéras, un peintre français du début du 20e siècle qui aurait laissé un chef-d’œuvre sur les parois d’un bunker perdu, une sorte de chapelle Sixtine cachée dans le désert. L’argument sert à appâter le spectateur, mais s’étiole au gré de pérégrinations variées et de rencontres avec une bande de malfrats à moto dans ce pays tribal soumis à la guerre civile. Il flirte avec la découverte d’un peuple saisissant de Noirs albinos, épouse le western, tend vers une réflexion philosophique, convoque amulettes et marabouts… Tout se mélange, mots, images, peinture, danse, poésie des corps. Chaque séquence confine à un geste cinématographique épris de liberté et d’une fougue – quasi à la Jodorowsky – pour une fête de feu et de couleurs. Cette folie créative est l’un des reliefs les plus endiablés du sud, aussi séduisant qu’il est porteur d’avenir.