Avignon cinéphile
Qu’ils utilisent des technologies cinématographiques ou non, qu’ils s’inspirent de films ou pas, petit florilège de spectacles cinéphiliques vus au Festival d’Avignon 2019 (et à revoir partout en France et ailleurs en tournée).
Quatre spectacles visuellement cinématographiques
Après avoir montré au Festival d’Avignon 2018 La Reprise, Histoire du Théâtre (I), le metteur en scène suisse Milo Rau, également directeur du théâtre de Gand (Belgique), a proposé à Faustin Linyekula de prendre la suite de cette série interrogeant la force du théâtre comme analyse documentaire du monde. Dans ce nouveau spectacle, le metteur en scène congolais s’intéresse à un élément essentiel de l’histoire du Congo : le Ballet National. Créé en 1974 par Mobutu Sese Seko, président pendant plus de trente ans de la République qu’il a renommée « du Zaïre », le Ballet National était une compagnie publique de théâtre et de danse qui avait pour ambition d’affirmer l’identité de ce nouveau pays fraîchement émancipé de ses colonisateurs. Aujourd’hui, plus de quarante ans plus tard, la compagnie existe toujours, mais faute de moyens, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Pourtant, les jeunes Congolais connaissent bien le Ballet National pour avoir maintes fois vu à la télévision L’Épopée de Lianja, le spectacle phare de la troupe. Pour raconter l’histoire de cette compagnie de théâtre officielle, et à travers elle questionner l’histoire récente du Congo, entre volonté d’affirmation identitaire, dictature, et rapport complexe avec la Belgique – pays colonisateur -, Faustin Linyekula fait intervenir deux danseuses et un chanteur de la troupe historique, aujourd’hui très âgés. Ils sont les rares survivants d’une époque que l’on commence à oublier, et dont subsistent surtout les images télévisuelles d’une captation que Faustin Linyekula met au cœur de sa mise en scène, comme la survivance floue des fantômes d’une autre Histoire…
À Gand, au NTGent, du jeudi 05/03/20 au mardi 10/03/20 et du vendredi 27/03/20 au samedi 28/03/20
À Bruxelles, au Kaaitheater, les vendredi 13/03/20 et samedi 14/03/20
À Francfort-sur-le-Main, au Künstlerhaus Mousonturm, les dimanche 17/05/20 et lundi 18/05/20
Mais aussi à Rotterdam et Vienne
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La ressemblance de dispositif entre ce Granma du Rimini Protokoll et le Histoire(s) du Théâtre de Faustin Linyekula est troublante. On y retrouve le même récit historique d’une expérience politique anti-occidentale à l’étranger (le Congo pour Histoire(s), Cuba pour Granma), soldée par un échec relatif et racontée sur scène par ceux qui l’ont vécue. Ou plutôt, dans le cas de Granma, par leurs petits-enfants. Ils forment un petit quatuor de trombones, mais malgré l’harmonie de leur musique, ils ne partagent pas le même point de vue politique. Certains rêvent encore à l’idéal révolutionnaire, d’autres sont plus désabusés. Leurs vies aussi sont différentes, comme l’étaient celles de leurs grands-parents, l’un ministre de Castro, l’autre guérillero, musicien ou simple couturière de La Havane. Et avec ces quatre fois quatre histoires, c’est toute l’histoire de Cuba, jusqu’à la dernière génération, qui est racontée. Un foisonnement rendu passionnant grâce, notamment, à une utilisation brillante de la vidéo, tantôt pour suggérer un ailleurs en fond de scène, tantôt pour faire exister des personnages absents sur les côtés de la scène, à la manière d’un documentaire. Riche, spectaculaire, émouvant et aussi très drôle, Granma. Les Trombones de la Havane est un immanquable du dernier Festival d’Avignon.
À Aubervillers, à La Commune, du mercredi 04/12/19 au dimanche 08/12/19
À Zurich, au Theater Spektakel, du lundi 19/08/19 au mercredi 21/08/19
À Munich, au Münchner Kammerspiele, du jeudi 21/11/19 au samedi 23/11/19
Mais aussi à Genève, Prato, Lugano, Berlin, Dresde et Athènes
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Avec une mise en scène impressionnante et riche visuellement, Macha Makeïeff adapte Alice au pays des merveilles en l’entremêlant d’éléments biographiques sur Lewis Caroll, tout en conservant ce même ton étrange et fascinant qui fait tout le charme de l’œuvre originale. Les amateurs de la brillante adaptation en dessin animé de Disney (1951) ne seront pas déçus : on y retrouve le même jeu visuel et musical, plus fantasmagorique que glauque. Visuellement, les lumières de Jean Bellorini donnent au spectacle une dimension enchantée. Quant à la musique, la chanteuse du groupe Moriarty, Rosemary Standley, y tient un rôle important et y interprète de nombreuses chansons, dont certains tubes du groupe, donnant au spectacle la fraîcheur d’une comédie musicale. Parfaitement ouvert aux non-initiés, le nouveau spectacle de la directrice du Théâtre La Criée de Marseille réconcilie amateurs de théâtre et spectateurs moins habitués.
À Saint-Denis, au Théâtre Gérard Philipe, du vendredi 27/09/19 au dimanche 13/10/19
À Marseille, à La Criée, du mercredi 27/11/19 au samedi 07/12/19
À Lyon, au Théâtre des Célestins, du mardi 07/01/20 au samedi 11/01/20
Mais aussi à Angers, La Roche-sur-Yon, Toulon, Bayonne et Nice
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Le thème du Festival d’Avignon 2019 était « L’Odyssée ». Si certains metteurs en scène, comme Blandine Savetier, ont proposé un spectacle feuilletonesque directement adapté du poème épique d’Homère, d’autres ont préféré en faire une interprétation plus politique. C’est le cas de Laurent Gaudé et de Roland Auzet, qui proposent, avec Nous, L’Europe, banquet des peuples, à la fois un retour historique sur la construction de la communauté européenne (dont ils font coïncider les prémices avec les développements de la locomotive et du train, une analyse déjà portée par Lars von Trier dans Europa), des questionnements contemporains sur la crise des migrants et le sort des réfugiés politiques (avec la participation d’un « grand témoin », une personnalité politique européenne, variant de soir en soir – de François Hollande à Enrico Letta), et un hymne à l’Europe. Car le spectacle fait la part belle à la musique : plusieurs chœurs de chanteurs sont présents sur scène, tandis qu’une guitare électrique et une batterie nous offre de délicieux passages de hard rock (en allemand). Le tout filmé en direct à la manière d’un concert et projeté sur un long écran horizontal, multipliant les points de vue. Si l’ensemble est assez peu novateur dans son propos, il offre un spectacle tantôt harmonieux, tantôt cacophonique. Une certaine métaphore de l’Europe, en somme.
À Amiens, à la Maison de la Culture , du lundi 07/10/19 au mardi 08/10/19
À Grenoble, à la MC2, du mardi 14/01/20 au jeudi 16/01/20
À Saint-Denis, au Théâtre Gérard Philipe, du mercredi 25/03/20 au jeudi 02/04/20
Mais aussi à Perpignan, Neuchâtel, Blagnac, Montbéliard, Choisy-le-Roi, Tours, Saint-Nazaire, Ibos, Sète et Lieusaint.
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Cinq spectacles adaptés de films (ou presque)
Adapté du célèbre récit autobiographique de Bergman, ce (presque) seul en scène – le personnage principal est accompagné de deux comédiens quasi fantomatiques – Laterna magica fait revivre le célèbre homme de théâtre et de cinéma suédois, à l’occasion du partage de quelques souvenirs fondateurs. Le comédien principal, Fabien Coquil, est impressionnant, et s’approprie ce texte avec un humour et une simplicité étonnants. On oublie presque le Bergman des biographies officielles, et on se passionne pour cette fresque intime d’un jeune homme de bonne famille, adolescent dans une période trouble. Il a 16 ans en 1934 lorsque sa famille d’accueil allemande l’emmène, à l’occasion d’un voyage linguistique, saluer le Führer à Weimar. Il a été fasciné, d’abord, par cette apparition – des années avant de comprendre. Le Laterna magica proposé par Dorian Rossel et Delphine Lanza n’est pas une biographie exhaustive ou hagiographique du cinéaste, mais le portrait touchant, humble et humain d’un jeune homme devenant bientôt un grand artiste.
Nouvelles dates annoncées prochainement.
Très riche en idées de mise en scène, Vivre sa vie, lecture féministe du film de Godard par Charles Berling, prend le meilleur des idées en vogue dans le théâtre contemporain : musique, déclamations, jeux d’ombres, vidéo… Celui qui était aussi acteur chez Ivo van Hove (dans Vu du pont) semble vouloir s’inscrire dans l’héritage des grands metteurs en scène européens, entre van Hove, Castelluci et Ostermeier. Pour autant, Vivre sa vie reste une adaptation fidèle du film de Godard, mais dans une lecture qui se veut plus analytique qu’une simple transposition – puisque Berling propose directement son interprétation du film, en y adjoignant des textes de Virginie Despentes, Margerite Duras ou Simone Weil. Et surtout, il en propose une version intensément spectaculaire.
À Nancy, à la Manufacture, du jeudi 14/11/19 au samedi 16/11/19
À Lyon, au Théâtre des Célestins, du mardi 26/11/19 au mercredi 04/12/19
La science-fiction est un genre délicat pour le théâtre, qui n’a pas à sa disposition les effets spéciaux du cinéma et la force évocatrice de la littérature pour figurer un ailleurs. Plus encore que dans toute autre forme artistique, la science-fiction au théâtre force le spectateur à imaginer autre chose à partir de ce qu’il voit sur scène. Si cet effort était, certes, déjà le précepte du théâtre de Shakespeare, pour la science-fiction elle est encore plus complexe dans la mesure où il ne s’agit en général pas seulement de raconter une histoire, mais d’impressionner, grâce à des événements incroyables. Ce difficile pari est remporté haut la main dans cette adaptation du roman de Stanislas Lem, matrice de nombreux films de science-fiction comme Alien, et bien connu grâce à la lecture qu’en a faite Tarkovski en 1972. Grâce à des acteurs formidables, une scénographie intelligente et une très fine utilisation des lumières et de la fumée, Rémi Prin fait de son petit plateau et malgré peu de moyens, une véritable station spatiale. Alors, on oublie sans se forcer le petit théâtre avignonnais ou parisien, et on embarque à bord de Solaris, du Nostromo, de Discovery One, bref, de toutes ces stations spatiales et de tous ces vaisseaux spatiaux qui ont bercé notre imaginaire cinéphilique, et dans lesquels quelque chose de bizarre, toujours, se passe.
À Paris, au Théâtre de Belleville, du dimanche 06/01/19 au mardi 29/01/19
Dix ans après sa première diffusion sur Arte et l’important succès qui a suivi, Jean-Paul Lilienfeld adapte pour le théâtre son film La Journée de la jupe. Si dans les premières minutes du spectacle, on peut être gêné par l’artificialité de l’adaptation, on l’oublie bien vite grâce au talent des acteurs. Après tout, c’est déjà ce qui a valu le succès du film original, à l’origine du cinquième César pour Isabelle Adjani. Mais Gaëlle Billaut-Danno, qui reprend le rôle-titre, n’a rien à envier à l’actrice césarisée. Car la vraie force du film et de la pièce réside aussi dans ses dialogues, qui sonnent toujours très justes. Les lycéens qui entourent cette prof paniquée sont également impressionnants de justesse : tantôt effrayants, parfois drôles et souvent émouvants.
À Sarcelles, à la Salle André Malraux , le mardi 15/10/19
À Caudry, au Théâtre, le vendredi 13/12/19
Si on peut questionner l’intérêt d’une adaptation si fidèle d’un film si récent et si connu (dans la sphère cinéphilique du moins – Moi, Daniel Blake a eu la Palme d’or au Festival de Cannes en 2016), force est de constater que Joël Dragutin et sa troupe s’en sortent haut la main, en proposant un spectacle rythmé et efficace. Le texte est traduit entièrement en français, bien que l’action se déroule toujours au Royaume-Uni (les conventions du théâtre le permettent facilement). L’histoire – l’absurdité du système et son drame social – devient alors, sinon plus universelle, en tout cas bien plus proche de nous, nous amenant à concevoir avec une étrange facilité que cela pourrait peut-être, aussi, finir par nous arriver.
Nouvelles dates annoncées prochainement.
« Cité Z ». Pour les cinéphiles, le nom est familier. Ce n’est pas celui d’un complexe architectural des années 1950, mais d’une mystérieuse cité oubliée quelque part dans la jungle amazonienne. L’histoire de l’explorateur Percival Harrison Fawcett, qui a passé sa vie à rechercher cette cité perdue, jusqu’à ce perdre lui-même, a été racontée récemment dans le Lost City of Z de James Gray (2016). Le spectacle d’Aymeric de Nadaillac se place plusieurs années plus tard. Fawcett a déjà disparu depuis longtemps, mais pour sa fille, adulte désormais, il est toujours vivant. Pour partir à sa recherche, elle fait appel à un escroc français qui se fait passer pour explorateur, campé par Nadaillac lui-même dans un jeu à la OSS 117. Qu’on avertisse tout de suite le spectateur : le ton est très éloigné de James Gray. Les Aventuriers de la Cité Z est une comédie familiale, volontiers guignolesque, parfois un peu lourdingue, mais à la mise en scène efficace et rythmée, qui plaira au jeune public.
Nouvelles dates annoncées prochainement.
Alors que le spectacle Laterna magica brossait du grand cinéaste Ingmar Bergman un portrait à hauteur d’homme, Antonio Interlandi offre un hommage à Pasolini sous forme d’ode à l’artiste absolu. Un artiste qui apparaît ici comme éminemment romantique. Accompagné à l’accordéon par Noé Clerc, le metteur en scène-comédien interprète Pasolini de manière très inspirée – parfois même un peu trop. Composition à partir de textes plus ou moins connus ou rares, Pasolini en forme de rose est un spectacle à conseiller aux amateurs du poète-cinéaste et à ceux pour qui, comme Pasolini, l’art est une nécessité vitale, un moyen de survie.
Nouvelles dates annoncées prochainement.