Carnet de voyage

Mercredi 27 janvier

Dans la voiture qui nous conduit de la gare au Centre de congrès d’Angers, la comédienne-réalisatrice Marilyne Canto est à mes côtés. Elle est invitée par le festival, avec l’acteur Samir Guesmi, à faire une lecture publique du scénario du premier long-métrage de fiction d’Annarita Zambrano, Après la guerre. Nous évoquons ensemble le souvenir heureux de la sortie, il y a un an, de son (beau) film à elle, Le Sens de l’humour. Marilyne ne s’est pas encore remise à écrire, elle tourne régulièrement en tant qu’actrice et vient d’achever le premier film « singulier » de l’acteur Grégoire Leprince-Ringuet.

14h, Centre de Congrès

Regard pétillant et franc sourire, Marilyne Canto est discrétion et présence combinées. Avant les deux heures de lecture qui l’attendent, elle s’étire en se tenant à la rambarde du Centre de congrès, façon danseuse avant l’entrée en scène. Samir Guesmi l’accompagne dans ses mouvements. Leurs voix se mêlent et racontent cette histoire d’êtres déchirés entre la France et l’Italie, à la suite de l’assassinat d’un juge du travail.

16h, Multiplexe Gaumont

Je rejoins un convoi qui mène Arnaud Desplechin et Laetitia Casta à la projection de Ragtime de Miloš Forman, qu’Arnaud Desplechin doit présenter au public. À la manière d’un élève consciencieux, le cinéaste révise ses notes, s’inquiète de ne parvenir à s’exprimer clairement. Face à la gigantesque salle du multiplexe, il saura trouver les mots, s’excusant sans cesse de sa « maladresse », pour évoquer les motifs porteurs de sens du film. Sorti en janvier 1982, ce portrait d’une société américaine multiraciale, où racisme et injustice se font la courte échelle, fascine par son souffle et son ampleur.

19h, Centre de congrès

Je découvre Keeper, premier long-métrage du Belge Guillaume Sénez. Ou la chronique de deux adolescents de 15 ans qui attendent un enfant. C’est frémissant, juste, sensible, et interprété avec grâce par les jeunes Kacey Mottet Klein et Galatea Bellugi. Sortie en salle le 23 mars. Le film remportera le Grand Prix du jury long-métrage européen.

22h, Place du Ralliement

Je suis en chemin pour découvrir l’unique court-métrage réalisé par Jean-Claude Carrière, La Pince à ongles (coécrit avec Miloš Forman et Prix Spécial du jury au Festival de Cannes 1969) projeté au cinéma Les 400 Coups. Ma course est déviée par ma rencontre avec Xavier Massé, le secrétaire général du festival, qui me présente David Zellner. David est un réalisateur américain originaire d’Austin au Texas, où se niche une large communauté de cinéastes indépendants, dont les chefs de file sont Richard Linklater, Jeff Nichols et Robert Rodriguez. Il me propose d’accompagner David au Château d’Angers, où est exposée une gigantesque tenture représentant l’Apocalypse de Jean, soit 104 mètres de tapisserie somptueuse, réalisée à la fin du XVIème siècle sur commande du duc Louis 1er d’Anjou. Face à l’œuvre gigantesque, sorte de roman graphique avant l’heure, David Zellner est fasciné.

Écouter David Zellner :

14h30, Multiplexe Gaumont

Dans le cadre d’une rétro consacrée à l’Islande au cinéma est projeté Back Soon de la regrettée Sólveig Anspach. Ce film, sorti en 2008, narre les frasques d’une poétesse dealeuse de Reykjavik, aux prises avec des personnages hauts en couleur. C’est foutraque, drôle et désespéré. La salle, comble, rit de bon cœur.

17h, Cinéma Les 400 Coups

Au cinéma Les 400 Coups, David Zellner présente en avant-première son premier long-métrage de fiction, Kumiko, The Treasure Hunter. Soit le périple enneigé, aux portes de la démence, d’une Japonaise convaincue que le trésor enfoui par Steve Buscemi dans Fargo est bien réel. Ce prétexte insensé pousse son héroïne vers une solitude radicale dans une nature sauvage, au cœur du Montana. Ce conte initiatique nous éloigne des standards du cinéma américain par son refus de faire sens à tout prix. Le beau désespoir qui sourd du film est rythmé par les rencontres brèves et sincères avec des êtres qui tendent la main à Kumiko. Dans le rôle d’un policier compatissant, David Zellner himself fait preuve d’une réelle justesse de jeu. Son film sera prochainement disponible sur iTunes.

19h30, Au Boléro

Dans le cadre du partenariat qui relie la ville d’Angers à celle d’Austin au Texas, un mini-concert du musicien Jonathan Terrell est organisé au Boléro. Ce lieu étonnant, où le kitsch joue des coudes du sol au plafond, est doté de coursives à l’étage : une certaine convivialité s’installe. Les sulfites vont bon train.

10h30, Centre de congrès

On apprend le décès de Jacques Rivette, l’un des cinéastes les plus libres et audacieux qui furent. Cette image de L’Amour fou me revient en tête. Et soudain l’envie forte de revoir La Bande des quatre et L’Amour par terre.

15h, Centre de congrès

Les casques de réalité virtuelle investissent désormais nombre de festivals. À Premiers Plans, une expérience est proposée au public, Witness 360° de l’Anglais Darren Emerson, soit une évocation des attentats du 7 juillet 2005 dans le métro de Londres à travers les yeux d’une survivante. Les séquences s’enchaînent sans laisser au spectateur le temps de trouver sa place dans le dispositif et le son déçoit. Mauvaise pioche.

17h, Centre de congrès

À l’heure de quitter les lieux, bref détour du côté de la librairie cinéphile qui s’est installée dans le Centre de congrès. Au milieu des ouvrages, les beaux écrits de Luc Dardenne. Dans le premier volume de Au dos de nos images, cette question cruciale : « Filmer la vie, y arriverons-nous un jour ? ».

18h, Train Angers-Paris

Le contrôleur a la cinquantaine. Je tente : « Vous n’auriez pas l’album Inutile de Michel Zacha, par hasard ? ».