Les Ateliers d’Angers

Récits d’expériences

Créé en 1991, le volet MEDIA de l’Union Européenne, qui fait partie du programme « Europe créative » de l’UE pour les secteurs de la culture et de la création, a notamment pour action de soutenir 60 formations européennes en audiovisuel, parmi lesquelles les Ateliers d’Angers. À l’occasion des 25 ans de MEDIA, voici un focus sur ces Ateliers qui ont permis l’éclosion de longs-métrages comme Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore, Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, ou Je suis un soldat de Laurent Larivière.

Créés en 2005 par Jeanne Moreau et Claude-Éric Poiroux, les Ateliers d’Angers s’adressent à de jeunes réalisateurs européens qui ont à leur actif un ou plusieurs courts-métrages et se préparent à réaliser leur premier long-métrage de fiction. Pendant cinq jours, en été, ils bénéficient des enseignements et conseils de professionnels du cinéma. Puis se retrouvent lors du festival Premiers Plans, en janvier, pour faire le point sur l’évolution de leur projet, rencontrer des professionnels autour des questions de financement et de production, et participer aux projections et événements du festival.


Entretien avec
Olivier Ducastel


Olivier Ducastel, scénariste et réalisateur (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, Théo & Hugo dans le même bateau, entre autres, tous cosignés avec Jacques Martineau), et actuel directeur du département Réalisation de la FEMIS, a encadré les Ateliers d’Angers à trois reprises, en 2010, 2012 et 2013.

Quelle est la spécificité des Ateliers d’Angers ?

La volonté initiale de Jeanne Moreau, qui est à l’origine de ces Ateliers, est de créer, le temps d’un workshop, une petite communauté de réalisateurs qui ont tous des projets dans un état d’élaboration assez proche, qui sont donc en production et près de tourner. Il s’agit de les aider à cerner leurs difficultés et de leur apporter des outils en organisant des rencontres avec des professionnels en lien avec leurs projets. Par exemple, si, une année, il y a un projet de comédie musicale, un chorégraphe sera invité ; s’il y a un film de genre, on conviera un chef-opérateur qui en a déjà fait l’expérience, etc. Les Ateliers ne se cantonnent pas aux scénarios, même si c’est une part très importante, c’est beaucoup plus empirique que cela. L’idée est vraiment de mettre les résidents, de tous horizons et aux problématiques très différentes, face à leur désir de cinéma. Il y a ainsi un rituel qu’a instauré Jeanne Moreau : quand les résidents arrivent, afin qu’ils fassent connaissance, ils doivent chacun raconter leur scénario, par le menu, devant tout le monde.

D’un bout à l’autre, sans être interrompus ?

Oui, tout le scénario, d’une traite ! Une ou deux fois, Jeanne Moreau m’a tapé sur les doigts parce que je prenais la parole : « Non, pas maintenant, Olivier ! », m’a-t-elle houspillé ! C’est un très bon exercice. Je me souviens d’une jeune réalisatrice qui s’est perdue dans son récit. Elle ne savait plus où elle en était. Jeanne et moi lui avons fait remarquer que c’était sans doute symptomatique d’une faiblesse du scénario. Ou alors certains, au bout du temps imparti, n’avaient raconté que la moitié du scénario. On leur signifiait qu’il leur fallait être dans l’élan du récit, mais pas dans le micro-détail. C’est une façon de procéder très française, et je me demande ce que diraient des Américains d’une telle méthode… Mais j’ai trouvé que c’était très productif, dans le sens où ça faisait prendre conscience à ces jeunes réalisateurs de la nature même de leur projet, et ça leur permettait d’avoir des retours extérieurs des autres réalisateurs présents. Sachant qu’avant d’arriver à Angers, tous ont lu les scénarios des autres. Ils ne découvrent pas les projets, mais la façon dont chacun les présente. Ces récits prennent toute une journée, c’est assez intense.

Vous rencontrez aussi les résidents individuellement ?

Oui, Jeanne et moi les voyions individuellement. Les réalisateurs invités à Angers à présenter leur film aux résidents et au public ont lu les scénarios et les rencontrent aussi.

Outre le scénario, quelles sont les autres questions pragmatiques évoquées ?

La relation au producteur, par exemple. C’est très important. Au cours de ces ateliers, j’ai vu des résidents prendre conscience qu’ils étaient dans une impasse. Je me souviens d’un jeune réalisateur qui s’est rendu compte, pendant l’atelier, que son projet ne pourrait pas être son premier film, car il était trop ambitieux. Je trouve très important de faire parler les résidents de leurs satisfactions, insatisfactions, de leurs doutes, de ce que leur raconte leur producteur du financement de leur film, etc.

Les résidents assistent aussi à des projections de films avec le public…

Oui, on invite des réalisateurs à venir présenter leur film aux résidents et au public. Sont ainsi venus Justine Triet pour La Bataille de Solférino ou Lionel Baier pour Les Grandes Ondes, par exemple. Par conséquent, lors de ces débats, les questions posées par le public sont plus larges et touchent aussi à l’esthétique du cinéma.

La présence de jeunes réalisateurs étrangers doit aussi être un vrai enrichissement…

Oui, je me souviens de parcours étonnants. Comme ce jeune réalisateur norvégien qui avait suivi son frère, étudiant chef-opérateur, en Pologne pour faire l’école de Łódz en réalisation. Les cours étant en polonais, il a dû au préalable apprendre la langue en un an. On sentait qu’il avait des affinités avec le cinéma de l’Est et le cinéma nordique, un goût pour le cinéma peu dialogué, très sensoriel et pictural. Souvent, les Scandinaves choisissent des écoles aux États-Unis ou en Angleterre, mais lui avait fait ce choix singulier. Je me souviens qu’il était arrivé à Angers non pas avec un scénario dialogué, mais avec un traitement, il y avait toute la structure de son scénario, toutes les séquences, mais pas encore les dialogues. Il avait encore un gros travail d’écriture à faire, mais il avait été choisi parmi les résidents pour ses courts-métrages et parce qu’il avait un producteur. Lui était reparti ultra enthousiaste de toutes ces rencontres, car ça lui avait donné énormément d’énergie pour faire aboutir son scénario.

Que vous ont apporté ces ateliers à titre personnel ?

Je retiens l’énergie de ces rencontres avec de jeunes réalisateurs. Je retiens aussi leur inventivité. Je ressens la même chose aujourd’hui avec mes élèves à la FEMIS. Cette énergie des débuts est nourrissante pour nous aussi, qui avons quelques années d’expérience…


Retours d’expérience


Ateliers d'Angers : Claire Burger

Claire Burger,

Coréalisatrice (avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis) de Party Girl (2014)

 

L’atelier nous a permis, pour la première fois, d’avoir des retours, des regards extérieurs sur notre projet de film et sur le scénario qui, jusque-là, n’avait pas circulé. On peut parler d’une étape-clé, car nous sommes sortis à Angers du dialogue entre la production et nous pour nous ouvrir enfin. Nous étions vulnérables à notre arrivée, mais bien plus solides à la fin de l’atelier. En soumettant notre texte aux avis des intervenants et des autres réalisateurs sélectionnés, nous avons pu questionner notre travail dans un cadre agréable et rassurant, où nous étions protégés, accompagnés par des professionnels pertinents, bienveillants et encourageants. Le travail effectué là-bas nous a permis à la fois de préciser et de fortifier nos intentions et notre désir de film.

 


Ateliers d'Angers : Clement Cogitore

Clément Cogitore,

Réalisateur de Ni le ciel ni la terre (2015)

 

Je garde un excellent souvenir de mon passage aux ateliers 
d’Angers. Il existe pas mal de labs ou workshops de scénario internationaux en Europe et dans le monde et la particularité d’Angers est de s’adresser plutôt à des projets en fin d’écriture, voire en début de préparation, et donc de ne pas faire travailler les auteurs uniquement sur le scénario, mais aussi sur les enjeux visuels et sonores à partir du scénario. Ils invitent donc aussi des chefs-opérateurs, directeurs des effets spéciaux, ou monteurs, etc. qui ont des points de vue intéressants et essentiels sur les projets et nous aident à faire la bascule entre le scénario et le projet tel qu’il est dans notre imagination, et sa réalisation concrète. Mon passage aux ateliers m’a permis de me sentir en confiance avec mon scénario et de commencer à imaginer son langage visuel, plastique presque, pour le transformer en film.

 


Ateliers d'Angers : Laurent Lariviere

Laurent Larivière,

Réalisateur de Je suis un soldat (2015)

 

La grande force de ces Ateliers d’Angers réside dans la multiplicité des regards qui se posent sur votre scénario. En une semaine, vous enchaînez une dizaine d’entretiens avec des personnalités très diverses qui sont réalisateurs, scénaristes, mais aussi chefs-opérateurs ou monteurs. Cela permet d’aborder cet objet de transition qu’est le scénario avec des logiques d’analyse différentes. C’est très enrichissant.
Je conseillerais cependant de s’inscrire avec un scénario mûr et ferme dans ses intentions, le risque étant d’être déstabilisé par la multiplicité des points de vue. Même si l’enjeu de ces Ateliers est aussi de rester poreux pour percevoir ce qui peut renforcer votre travail. C’est un équilibre à trouver.
Je me souviens particulièrement des lectures d’Anne-Louise Trividic et de Razvan Radulescu. Razvan a lu entre les lignes et a su formuler les intentions profondes du scénario, comme s’il avait pointé et mis des mots sur l’inconscient du film. Si bien que je me suis servi de ces propos lors de mon oral à l’avance sur recettes du CNC, deux mois après. Ce regard porté sur mon film m’a permis d’affirmer des intuitions que j’avais du mal à formuler.
Et puis, les Ateliers, c’est vraiment une équipe qu’on sent très impliquée autour du projet artistique, avec une idée exigeante d’un cinéma à défendre. C’est précieux.

Ateliers d'Angers


Focus media


 

Depuis son lancement en 1991, le volet MEDIA de l’Union Européenne, qui fait partie du programme « Europe créative » de l’UE pour les secteurs de la culture et de la création, apporte son soutien à la transformation constante de l’industrie audiovisuelle et favorise la coopération créative par-delà les frontières. MEDIA fête cette année ses 25 ans par le biais de conférences, forums, communication dans l’ensemble des pays MEDIA.
MEDIA a investi plus de 2,4 milliards d’euros dans la diversité culturelle et la créativité européennes, et a contribué au développement de milliers de films, ainsi qu’à leur distribution et à leur promotion au plan international.
Afin de permettre ce partage d’expérience et la circulation des œuvres et des créateurs, MEDIA soutient chaque année 60 formations européennes pour un montant de 7,3 millions d’euros. Il s’agit d’encourager les professionnels de 38 états membres à développer, produire, distribuer et exploiter ensemble des œuvres audiovisuelles, tout en développant de nouveaux publics.

Parmi les 60 formations, une dizaine est organisée par des structures françaises, dans le secteur du documentaire, de l’animation, du long-métrage de fiction, de la 3D et du passage au numérique, comme la FEMIS, Eurodoc, le Groupe Ouest, la Poudrière, les Ateliers d’Angers, ou l’association EWA, European Women Audiovisuel Network, basée à Strasbourg.