Scorsese by Scorsese

Autoportrait du plus new-yorkais des cinéastes américains

La Cinémathèque l’expose, le festival Lumière l’a célébré. À Paris, à Lyon, le plus italien, le plus cinéphile, le plus new-yorkais des cinéastes américains a lui-même, d’une présence éclatante et affable, recomposé son propre personnage. L’enfance, la famille dans le Little Italy prolo de New York, les débuts, la carrière, le nouvel Hollywood, les films, l’engagement dans la sauve-garde du patrimoine avec sa Film Foundation : Martin Scorsese a assemblé les pièces-puzzle d’un autoportrait.

 


L’enfant


« J’étais un petit garçon asthmatique. On m’interdisait de jouer dans la rue, de grimper aux arbres ­– heureusement il n’y avait pas d’arbres sur Elizabeth Street où je vivais. Alors mes parents m’ont emmené au cinéma. Il était aussi réel que ce que je voyais autour de moi. Et nous avons eu le privilège d’avoir un poste de télé dès 1948. J’ai pu découvrir Les Enfants du paradis, La Belle et la Bête, les films de Rossellini ou de De Sica au cinéma italien du vendredi soir. Dans les années 1950, on a découvert La Strada de Fellini, le Septième Sceau de Bergman…, soit un film extraordinaire par semaine. »

 


Le curé


« J’ai connu un jeune curé. Nous étions sa première paroisse. Il nous a fait découvrir des romans, Graham Greene, James Joyce… Je suis entré au séminaire, mais je me suis aperçu que je n’avais pas la vocation. J’ai eu besoin de trouver un moyen d’expression de mes émotions et ça a été le cinéma. »

 


Le débutant


 

« J’ai émergé de la scène indépendante à New York, mais je n’habitais pas Greenwich Village, je n’étais pas bohème, et je venais d’une famille sicilienne de Little Italy, de la poche provinciale de New York. Cassavetes, qui faisait Shadows (1959), a joué le rôle d’homme-clé, il a été le déclencheur de la flamme. Et, en 1961, à la New York University, un professeur m’a permis de croire que je pouvais faire des films. »

 


La première caméra


 

« Jeune, je ne me suis jamais acheté de caméra, on ne pouvait pas se le permettre. Un de mes copains, plus fortuné, possédait une caméra 8 mm. J’ai dû l’utiliser deux ou trois fois, mais je ne savais pas comment faire. Cadrer et monter, oui, mais je ne comprenais rien à la lumière. Moi, je vivais dans un quartier qui ressemblait à un bidonville, où il n’y avait que la lumière du jour et la nuit, et aucune autre nuance possible. La question des ombres m’importait peu. Ça doit être pour ça que j’aime tant filmer dans des couloirs, sans lumière, avec au mieux une ampoule. »

 


La musique


« Ça remonte aux 78 tours de mon père. La première musique qui a provoqué en moi des images était probablement celle de Django Reinhardt. J’écoutais aussi Stéphane Grappelli, le Hot Club de France, les disques swing de mon père. J’ai grandi dans une maison sans livres, où la vie était rythmée par les disputes, les discussions, et toujours sur un fond musical. J’ai gardé ce fil toute ma vie, la musique constitue le point de départ de mes images. »

 


Nouvelle Vague


 

« Avec Lucas, Coppola, De Palma, nous étions là au moment où le système hollywoodien était en train de changer. Nous étions un groupe de transition, nous prenions des risques, et les studios étaient prêts à rentrer dans l’univers des auteurs. Les Anglais ne nous appelaient pas Nouvelle Vague, mais « les enfants terribles » du cinéma, qu’on avait appris à faire à l’école. Il y avait une incompréhension avec les anciens comme Billy Wilder. Une réplique de son film Fedora (1978) évoque cette époque : « Le cinéma a été pris par les barbus ! » »

 


Hollywood


« C’est ironique, car j’ai toujours pensé que je serais un réalisateur d’Hollywood, mais ça n’est pas ça que je suis devenu. Même quand je fais des films dans la tradition des films de gangsters, ce n’est pas Scarface, ce n’est pas The Public Enemy… J’ai tenté de faire des films hollywoodiens, de faire d’Aviator un grand spectacle, même si j’y ai instillé des touches dramatiques, puis, avec Les Infiltrés qui, allez savoir pourquoi, a cassé la baraque et a enlevé l’Oscar. Mais je n’ai pas réussi à être un cinéaste hollywoodien, car je suis trop indépendant. J’ai besoin d’être mon propre maître. »

 


New York


 

« Le besoin d’être en connivence avec les gens m’a fait quitter, en 1982, Hollywood et la côte ouest pour me réinstaller à New York. Je ne veux surtout pas opposer New York et Los Angeles, qui ne sont pas du tout deux mondes imperméables, mais l’état d’esprit et l’approche du cinéma restent fondamentalement différents d’une côte à l’autre. »

 


Tourner, tourner, tourner…


 

« Même si j’ai ce désir intact de faire des films, j’y ai laissé des plumes en termes de vie personnelle. J’ai eu la chance de maintenir des liens avec des gens avec qui j’étais sur la même longueur d’onde, qui me soutenaient parce qu’ils voulaient voir ce type de films à l’écran ; ce qui m’a permis de surmonter des périodes terribles de traversée du désert, comme entre 1982 et 1987, alors que beaucoup de cinéastes n’ont plus été soutenus dans les années 1980. »

 


Monter


 

« Faire du cinéma, c’est écrire, tourner, monter, mais mon étape préférée a toujours été le montage. Cela remonte au gamin asthmatique que j’étais. Quand j’étais seul dans ma chambre, j’inventais des histoires en assemblant des images, des dessins coupés dans les journaux, et j’apprenais ainsi le vocabulaire d’une narration. »

 


Une filmographie


 

« Chacun de mes films est ancré dans un épisode très précis de ma vie : les revoir revient à tourner les pages intimes de ma propre existence. C’est assez troublant. Je m’aperçois que des films moins bons sont associés à des souvenirs délicieux et, à l’inverse, certaines réussites rappellent des moments personnels exécrables. Mais au stade avancé de ma vie (72 ans), je n’ai rien à cacher : puisque ma vie est devenue publique, autant l’exposer. L’important est d’être encore vivant, d’avancer et de s’apercevoir que j’ai survécu aux jugements et verdicts parfois définitifs qui ont détruit tant de grands cinéastes. »

 


La folie des images


 

« Le festival Lumière est l’occasion de rappeler l’importance du cinéma, contre la « folie » des images.  La restauration est la seule façon de sauver les films anciens. Quand je dis « anciens », j’inclus les films de cinq ans d’existence. À l’heure où il est si facile de visionner ces classiques, y compris sur Internet, il est regrettable que la jeune génération qui découvre le cinéma l’expérimente surtout grâce à des superproductions de super-héros. C’est dangereux pour l’avenir du cinéma. Les films « artisanaux » sont marginalisés, même quand ils gagnent des Oscars. On a perdu une génération, il est urgent de montrer ces œuvres d’avant. »