Le 20 octobre dernier, le légendaire cinéaste américain Joe Dante a annoncé la mise en chantier de son nouveau film, un thriller surnaturel intitulé Labirintus et basé sur les travaux du romancier écossais Alan Campbell. Un mois plus tôt, il était l’invité d’honneur du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.
Célébré, applaudi et porté aux nues par 300 personnes lors d’une masterclass animée par Jean-Baptiste Thoret, Joe Dante semblait alors rompu à tous les honneurs. À voir cet homme d’un âge raisonnable, dont le plus grand succès public remonte à plus de trente ans, on pouvait croire que le destin d’un cinéaste déchu était d’être le récipiendaire d’infinis hommages. Mais Joe semblait à l’étroit dans ce rôle.
Bien sûr, l’homme, charmant, a la qualité rare d’aimer parler des films des autres autant que des siens. Nous avons eu l’occasion de dîner, de parler longuement. Quand je lui disais qu’il était le digne successeur de Jack Arnold, il esquivait modestement. Et quand j’avançais que Martin Short était l’acteur parfait pour ses œuvres, mêlant cynisme sauvage et humour cartoonesque, il jubilait du retour en grâce tardif du comédien dans le dernier film de Paul Thomas Anderson.
Joe Dante est bienveillant et prodigieusement cinéphile. Il m’est toutefois apparu quelque peu éteint.
Notre première rencontre remonte au festival de Locarno en 1999. Accompagné du producteur Roger Corman et de son acteur fétiche Dick Miller, il avait alors montré l’intégralité de son oeuvre. Il venait de clore un vaste combat intitulé Small Soldiers. La confrontation, qui impliquait un fabriquant de jouets et un grand studio, s’était soldée par un échec amer. Mais Joe était alors un cinéaste de classe A, un homme à qui l’on venait confier la réalisation d’imposants blockbusters. Il ignorait toutefois que les dés étaient jetés. Comme pour ses confrères, rivaux et amis, John Carpenter ou John Landis, le rideau s’abaissait doucement sur une carrière exemplaire.
Au bord du Lac Majeur, au terme du XXème siècle, Dante débordait d’enthousiasme et commentait ses films de sa voix haut perchée, lors de séances animées. Quinze ans plus tard, le cinéaste n’aura tourné dans l’intervalle que deux films. Au moment de présenter Burying the Ex au public strasbourgeois en première européenne, il s’excusera presque de son manque d’ambition.
« Ne vous attendez pas à voir un grand film de Joe Dante ! »
La comédie horrifique offre effectivement un aperçu timide du talent du père des Gremlins. Mais la précision apportée au rythme de la narration, l’équilibre entre les genres abordés trahissent la patte d’un réalisateur très aguerri. Visiblement, le cinéaste ne souhaitait pas s’étendre sur ce qu’il avait dû vivre comme une expérience peu stimulante. Si l’homme derrière Piranhas, L’Aventure intérieure, Panic sur Florida Beach s’est engagé sur un projet aussi modeste, c’est par besoin de tourner.
Joe Dante est un conteur, un narrateur, un artisan du 7ème art qui confiera volontiers qu’il aurait apprécié d’évoluer à l’âge d’or des studios, quelque part entre Michael Curtiz et Raoul Walsh. Un trublion des années 1980, tout autant qu’un prince déchu, qui admet volontiers qu’il considérerait d’un oeil favorable une commande de la société Blumhouse, productrice de la majorité des franchises horrifiques décriées du cinéma contemporain. Avant de venir à Strasbourg, il faisait ainsi un détour en Italie, pour chercher la trace de ses ancêtres, glaner une double nationalité qui lui permettrait de développer plus aisément des projets européens.
Dante est un artiste en exil, un boulimique de cinéma, désireux d’en voir, mais surtout d’en faire. Et il faut célébrer ces hommes, soit, mais surtout leur permettre de s’exprimer caméra au poing.
Il faut souhaiter que Labirintus, ce mystérieux nouveau projet, lui permette de réanimer un enthousiasme quelque peu émoussé par l’attente.