Avant de le retrouver en octobre dans le portrait de groupe Le Jeu de Fred Cavayé, et en attendant son cinquième opus comme réalisateur, Persona non grata, Roschdy Zem brille au cœur de Ma fille. Le moment de s’arrêter sur un artiste et une composition passionnants.
Dans Ma fille, en salle le 12 septembre, c’est lui qui emporte le morceau. Roschdy Zem, l’acteur. Le film, premier long-métrage signé Naidra Ayadi, est le portrait d’un père à la recherche de sa fille aînée, dans un Paris inhospitalier et interlope. Une adaptation du roman de Bernard Clavel, Le Voyage du père, paru en 1965, et dont Denys de la Patellière réalisa une version au titre éponyme l’année suivante, avec Fernandel en vedette. Sur une idée du producteur Thierry Ardisson et un scénario de Naidra Ayadi, le protagoniste, originellement agriculteur jurassien, est devenu Algérien exilé en France, dans le même Jura, pour échapper à la guerre civile du début des années 1990. Un homme qui, avec sa femme, a élevé deux filles. La cadette, adolescente, l’accompagne dans son périple dans la capitale, lorsque la grande annule encore soudainement sa visite, cette fois pour les fêtes. La quête va révéler une vérité crue, et pousser ce héros très discret à brusquer sa réserve.
Un rôle en or pour Roschdy Zem, qui fut aussi contacté au départ pour réaliser le projet. Il préféra se concentrer sur le rôle et ne pas se diluer dans les deux tâches. Bien lui en a pris. Son incarnation d’Hakim apporte une nouvelle pierre à son riche parcours. Soixante-quinze longs-métrages au compteur, déjà ! En trente ans de carrière, l’acteur a construit l’une des plus belles filmographies hexagonales. Il surprend encore, par la finesse de son interprétation. Pour faire vivre ce paterfamilias cinquantenaire, venu du bled et installé comme menuisier en province, il a ralenti son phrasé, son élocution, sa démarche, ses postures, ses gestes. Sa composition d’un paternel aimant et pudique dans son attachement à ses filles bouleverse. Un homme toujours bien mis et respectueux. Le comédien n’a jamais été adepte de la performance en force, même quand il se glisse dans la peau de l’inquiétant Mirko dans La Californie de Jacques Fieschi, ou du tordant Frère Jean en short dans Chouchou de Merzak Allouache.
L’intériorité, qui travaille l’intimité comme la pudeur, transcende son habitation du personnage. L’émotion est vivace, car Roschdy via Hakim rend hommage aux pères, ceux de l’ombre, du silence et des tourments indicibles. Des piliers de la filiation emplis d’un amour indéfectible. C’est de cette même humanité qu’il a brillamment nourri Tarek, le chirurgien qui soigne un pied-noir dans De l’autre côté de la mer de Dominique Cabrera ; Lakhdar, l’ouvrier des bidonvilles banlieusards en pleine guerre d’Algérie dans Vivre au paradis de Bourlem Guerdjou ; Sami, le coureur qui se prostitue travesti dans Change-moi ma vie de Liria Bégéja ; Nordine, le fils qui raccompagne au Maroc la dépouille de son père dans Tenja de Hassan Legzouli ; et Messaoud, le tirailleur embarqué dans la Seconde Guerre mondiale dans Indigènes de Rachid Bouchareb.
L’humanité, la profondeur et la pudeur. Chapeau, Roschdy Zem !