Auteur comique sur-célébré (les prochains Emmy devraient le confirmer encore une fois), acteur singulier et attachant, homme honnête, nouveau chouchou de Woody Allen : Louis C.K. gagne sur tous les tableaux.
« C’est dur de recommencer après un mariage. C’est vraiment difficile de regarder quelqu’un en se disant ‘peut-être que quelque chose de bien va arriver’… Ou alors, vous rencontrez la personne idéale, que vous aimez infiniment, vous vous disputez même bien, vous vous épanouissez ensemble, vous avez des enfants, vous vieillissez côte à côte, et elle va finir par mourir. C’est le meilleur scénario » – Louis C.K.
Le merveilleux monde des médias, étant ce qu’il est, n’aime rien tant que les petites cases bien propres où ranger facilement les artistes et leurs gestes créatifs, histoire de n’avoir qu’une seule ficelle à tirer. Dans le tout aussi fabuleux monde de la comédie télé américaine, l’exemple est d’ailleurs flagrant. D’un côté, les filles devenues reines parce qu’elles osent rire plus fort et plus cru (Lena Dunham, Amy Poehler, Tina Fey, Sarah Silverman, Mindy Kaling), de l’autre, les garçons intronisés parce qu’ils sont plus vulgaires que les autres (Seth MacFarlane, Judd Apatow en son temps…). Et puis, comme dans toutes les bonnes histoires, il y a celui qui refuse obstinément de se laisser classer, celui dont l’humour, trop libre, trop différent, trop singulier, ne peut être catégorisé, celui qui par sa seule présence fait exploser toute tentative de taxinomie paresseuse. Louis C.K., 46 ans au compteur, rondouillard, roux, à demi chauve, mais dont l’intelligence de cœur et d’esprit ne saurait, en effet, être autre chose qu’unique. Né à Mexico, il a fait ses débuts à Boston, pourtant plus réputée pour avoir inspiré les maîtres contemporains du polar que pour son coefficient LOL, et débuta dans les équipes d’auteurs du Late Night with Conan O’Brien et The Chris Rock Show avant de réaliser deux films devenus cultes (Tomorrow Night et Pootie Tang), d’accumuler les stand-ups ou de concevoir la première série HBO enregistrée en public (Lucky Louie).
Mais Louis C.K. surtout, dès ses débuts, a refusé de se laisser enfermer dans le jeu aussi décadent que dégradant de la course à la popularité pour devenir cet outsider, ce marginal génial dont on se refile le nom presque sous le manteau, comme un secret magnifique qu’on partagerait sans trop le crier, pour ne pas briser la magie.
Mieux que ça, même. Car si Louis C.K. a toujours refusé ce jeu de starification, il en a même réinventé les règles ! Le 13 décembre 2011, il prenait ainsi la plume, sur son propre site web, pour expliquer les contours d’une expérimentation réussie et en annoncer les résultats (oui, l’homme est honnête). L’inventeur de l’expression « white person problems » avait en effet décidé de mettre en vente, directement sur son site, sans agents, intermédiaires, obligations ou collecteurs de taxes, son one-man show Live at the Beacon Theatre (qu’il a lui-même réalisé et monté, à ses propres frais) pour 5 dollars. En quelques jours, 110.000 copies étaient vendues, et Louis C.K. amassait la jolie somme de 200.000 dollars (1 million, 12 jours plus tard, qu’il divisa en quatre, tel qu’expliqué sur son site, entre le remboursement des frais de production, son staff, des organismes de charité et lui-même). Mais se confortait surtout dans l’idée que ce modèle d’affaires direct, joignant l’artiste et le « consommateur » dans une même logique éthique (en gros, se débarrasser du marketing) était la bonne. Se montrer de bonne foi et capitaliser sur celle de ceux qui veulent le suivre : si l’humour de Louis C.K., incroyablement lucide – et cruel – sur notre lâcheté, notre bêtise, notre mauvais fond tape fort, l’attitude de l’homme, elle, trahit ces qualités humaines simples et solides sans lesquelles cet humour, justement, n’aurait aucun impact.
Être une bonne personne, pas juste pour le show, et pouvoir ainsi se permettre toutes les horreurs ? Cela semble simple. Simpliste, même. Et pourtant. Si le travail de Louis C.K., autant sur scène que dans sa série Louie diffusée sur la chaîne câblée FX depuis 2010 (3 saisons, la dernière accueillant rien de moins que David Lynch dans les épisodes où Louie est envisagé comme remplaçant de David Letterman, une 4e en préparation, diffusion prévue au printemps 2014) marque autant, c’est justement qu’il ne semble jamais mentir.
De sa description sur Twitter (« I am a comedian and a person and a guy who is sitting here », soit en VF « Je suis un comique et une personne et un gars qui est assis là ») à ses apparitions publiques, rien dans la démarche ni dans la personnalité de Louis C.K. ne transpire la fabrication, l’artifice.
Louis C.K. nous plairait-il autant parce qu’il ne serait que cette incarnation, à contre-courant de l’air du temps, du mythe de l’honnête homme ?
Pas seulement, évidemment. Car si ses stand-ups donnaient déjà le ton, sa série menée par son alter ego Louie (un comique dans la quarantaine, divorcé, père de deux fillettes, et son quotidien désargenté, organisé autour de ses prestations dans un club de comédie new-yorkais aux célèbres murs de brique rouge), dans un geste faussement documentaire, mais réellement poétique, absurde, fantaisiste et passionnant, précise plus finement les contours de cette étrange bestiole, mi-bloc de granit, mi-ectoplasme, qu’est Louis C.K.
Refusant dès la première scène de la première saison la tyrannie courante dans la télévision américaine de l’enfant-roi (une de ses fillettes lui dit préférer vivre chez sa mère, il attend qu’elle se soit retournée pour lui tendre bien nettement son majeur), mais aussi celle de l’humour puéril facile en s’y mettant plutôt en scène de façon terriblement assumée comme un homme de son âge, Louie, que C.K. écrit, réalise, monte, produit et interprète (un génie, vous dit-on !), n’est en effet pas une série morale. Car si son auteur y laisse clairement entrevoir un système de valeurs incroyablement rafraîchissant dans le petit monde comique, il ne se transforme jamais en statue du commandeur, préférant laisser Louie incarner, souvent à son corps défendant, toutes ces bassesses, faiblesses et autres hypocrisies qui font l’homme moderne. Pour mieux en faire les objets autant que les sujets de son humour insolent, auto-dépréciatif et faussement pessimiste, qui ne s’embarrasse de demander à personne la liberté d’être ce qu’il est.
Après l’avoir fait tourner dans son dernier film, Blue Jasmine, Woody Allen a confié avoir tellement aimé Louis C.K. qu’il voulait désormais lui écrire un buddy movie où les deux génies pourraient partager l’écran. Peut-on vraiment s’en étonner ?