Son image la plus nette vole en éclats. Fanny Ardant danse et virevolte. On pense, soudain, que le cinéma n’a pas assez usé de sa fantaisie et de son rire franc. On pense, aussi, que le cinéma aurait pu exploiter sa manière vive de faire exploser le conformisme et de résister à la normalisation, dans l’ordre social des convenances.
Une image chasse l’autre. Elle s’envisage et se dévisage comme si on la voyait pour la première fois. Si connue et si inclassable. Au cinéma, c’est pareil : c’est elle, familière, et à chaque fois une autre. Unique et démultipliée. Ce visage est un trésor.
Fanny Ardant, ce soir-là et comme toujours, a une allure folle. L’actrice aimante. Ses cheveux ont perdu leur noirceur profonde. Son nouveau chignon blond lui donne un port de reine hollywoodienne. La robe noire seyante habille sa longue silhouette de grande classe. Enfin posée sur un canapé, jolies jambes croisées, l’actrice parle, voix sophistiquée, phrasé léger, charme fou. L’égérie de Truffaut traverse le temps sans âge : icône intacte, absolu fantasme, pur objet de désir.
Le regard ténébreux le plus solaire du cinéma français joue une nouvelle amoureuse dans Les Beaux Jours de Marion Vernoux. Son amant est un homme jeune, un homme à femmes ; désir, plaisir, exaltation. Cette femme amoureuse, c’est elle peut-être bien, vivante, indépendante, frémissante. Ce rôle lui ressemble. Une évidence, une allégresse, un rôle comme elle, libre. « S’il n’est pas moi, il n’est pas loin de moi ». L’amour va bien à Madame Ardant. Depuis longtemps. Depuis qu’elle fut, éperdue et consumée, La Femme d’à côté (1981) chez François Truffaut, une amante tragique, dans le plus grand désordre de la passion, brutale, violente, animale.
Trente ans plus tard, avec plus de légèreté, d’insouciance, elle a chanté les sentiments forts, en duo avec Véronique Sanson sur la reprise d’Amoureuse, chanson et titre du premier album de la chanteuse, célébré et revisité. Madame rêve, madame rit, madame chante. Comme son personnage dans le film de François Ozon, Huit femmes (2001). Fanny Ardant, Pierrette dans cette comédie à énigme, reprenait en déhanché sensuel une chanson effeuillée de Nicoletta : «Et moi, la fille libérée/Confondant le jour et la nuit/Pratiquant l’amour buissonnier/Comme un défi/Oui, moi, j’éprouve quelquefois/L’envie d’être apprivoisée/D’arrêter mon cinéma/Et de tout partager ».
La star aime et est aimée. Elle a ses adorateurs. Certains lui rendent hommage. On voudrait être Vincent Delerm, chanter comme lui, illuminé et désinvolte, l’actrice à la personnalité singulière, sa beauté étrange sans égale : Fanny Ardant et moi. Mika voulait qu’elle soit sa mère, elle le fut, pop mother dans le clip de la première chanson en français du chanteur, Elle me dit.
Fanny Ardant est libre. « J’ai choisi, accepté parfois, refusé souvent ». Elle voit la vie comme une forêt équatoriale, où chacun peut saisir, ou pas, les lianes qu’on lui tend. C’est profond, la forêt. Et incertain. C’est un endroit pour s’égarer, se perdre, prendre des chemins sans savoir où l’on va. Qu’on ne la croie jamais arrivée. Elle a fait comme elle a voulu. Elle a joué, selon son bon plaisir, principe essentiel et intelligent.
Elle ne bat pas en retraite. Elle tourne, elle joue, elle avance, sans transiger ni se compromettre ; cinéma, théâtre, télévision. Elle se retrouve volontiers dans les mots de Roger Nimier : « Il faut vivre d’une désinvolture tragique : ne rien prendre au sérieux, tout au tragique.» Certainement comme Maria Callas qu’elle a incarnée forever, pour Franco Zeffirelli.
Fanny Ardant est maintenant passée de l’autre côté ; caméra devant. Elle a tourné un premier film noir, Cendres et sang (2009), histoire grave et violente de vengeance. Derrière la machine, elle apprend d’autres techniques du cinéma. Son second film se finit ; avec Gérard Depardieu et Asia Argento au générique. Il sortira en décembre prochain. Son titre note une belle promesse: Cadences obstinées.