Rares sont les acteurs et les actrices qui font l’unanimité à leur décès. Claude Rich est l’un de ceux-là. La qualité de son jeu, bien sûr, mais aussi et surtout son élégance naturelle, l’honnêteté manifeste de son sourire, son regard investigateur, à la fois candide et malicieux et sa voix aussi métallique que poétique ont constamment attiré l’attention et entretenu la sympathie du public et de la critique.
Né à Strasbourg le 8 février 1929, Claude Rich emménagea avec sa famille à Paris en 1935. Sa foi chrétienne était alors telle que sa mère le voyait devenir prêtre, mais, après avoir participé à la Libération de la capitale en 1944 et travaillé dans une banque, il s’adonna à sa véritable vocation en suivant les cours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, dont il sortit, en 1953, avec le deuxième prix de comédie. Récompense qui lui permit très vite d’exercer son talent sur le plan professionnel aussi bien au théâtre (son domaine de prédilection) que sur le grand et le petit écran.
Sur scène, dès 1951, en tant qu’élève du Conservatoire à la Comédie-Française (Le Conte d’hiver de Shakespeare…), puis un petit rôle dans Les Grandes Manœuvres de René Clair au cinéma en 1955 (le fiancé d’Alice/Catherine Anouilh) et sa carrière était lancée et ne connut aucune interruption. Au cinéma, les plus grands firent appel à lui : Michel Deville (Ce soir ou jamais, 1961), à nouveau René Clair (Tout l’or du monde, id.), Jean Renoir (Le Caporal épinglé, id.), René Clément (pour qui il incarna le général Leclerc dans Paris brûle-t-il ? en 1966), Jean-Pierre Mocky (Les Compagnons de la marguerite, 1967), François Truffaut (La mariée était en noir, 1968), Alain Resnais (qui le choisit pour son timbre vocal si singulier pour son seul film de science-fiction Je t’aime je t’aime en 1968, puis en 1974 pour Stavisky… et encore en 2006 pour assurer la voix de l’invisible Arthur dans Cœurs), sans oublier Pierre Schoendoerffer qui lui confia, en 1977, le très beau rôle du médecin dans son Crabe-Tambour.
Sa passion pour son métier n’avait pas de limites. Certes, les films d’auteur lui offraient des rôles plus profonds, mais il n’écartait pas ceux des productions plus commerciales quand leurs personnages présentaient des caractéristiques non encore prélevées sur sa palette. Ainsi, Les Tontons farceurs de Georges Lautner (1963) où il tient tête à son futur beau-père Lino Ventura, Oscar d’Édouard Molinaro où il perturbe beaucoup Louis de Funès (1967), Adieu poulet de Pierre Granier-Deferre qui lui offre l’occasion d’être un juge (1975) ou La Guerre des polices de Robin Davis où il est un commissaire (1979) figurent dans sa longue filmographie (78 titres).
Sur scène, il donna le meilleur de lui-même, alternant les comédies de Sacha Guitry (Faisons un rêve, 1986), le drame classique (Lorenzaccio de Musset, 1978) et moderne (Le Retour de Harold Pinter, 1966), affectionnant les personnages historiques complexes (comme son Talleyrand dans Le Souper de Jean-Claude Brisville en 1989, qui lui valut un triomphe personnel qu’il tint toujours à partager avec son partenaire Claude Brasseur dans le rôle de Fouché – pièce fort heureusement portée à l’écran par Édouard Molinaro en 1992 pour laquelle il reçut le César du meilleur acteur, l’année suivante). Sans oublier ses propres pièces, Le Zouave (1975), Un habit pour l’hiver (1979), Une chambre sur la Dordogne (1987) et Pavane pour une infante. Une carrière menée pratiquement toujours au sommet, qu’il sut adapter, le grand âge venu, en choisissant des rôles de composition hauts en couleur, comme son Chamblin dans Le Colonel Chabert d’Yves Angelo en 1993, son Panoramix dans Astérix et Obélix : mission Cléopâtre d’Alain Chabat en 2002 et, pour la télévision, son cardinal Duèze dans Les Rois maudits de Josée Dayan (2005) ou son Galilée ou l’amour de Dieu de Jean-Daniel Verhaeghe (id.). Un éclectisme qui continuait d’illustrer au plus haut niveau la passion qu’il éprouvait pour son art.
Acteur d’une grande précision d’exécution, au rythme de déplacement très calculé, à la diction souvent fort lyrique, à la présence aussi bien mesurée (son Léon Blum dans Thérèse et Léon de Claude Goretta pour la télévision) que galvanisante (Le Souper), Claude Rich fut aussi, dans la vie de tous les jours, un homme intègre et d’une grande discrétion. Mieux qu’une star, l’acteur idéal.