Lelouch, l’inaltérable
Toujours le chiffre 13 : Claude Lelouch vient d’achever deux films tournés en treize jours chacun.
« Je suis arrivé à l’heure du dernier sprint ». Claude Lelouch, 81 ans, dit cela avec un sourire d’enfant. Le hasard et les coïncidences viennent de déclencher chez lui une incoercible fièvre créatrice. Tout commence le 2 janvier 2018. À peine est-il descendu de sa voiture devant ses bureaux des Films 13, qu’un fugace prédateur dévalise son coffre. Quelques objets de valeur, pour Lelouch de peu d’importance, mais sur tout, irréparable dommage, l’unique exemplaire de la saga qu’il s’apprête à mettre en chantier, Oui et non et plusieurs cahiers, un millier de pages où il a amassé, ramassé un demi-siècle de notes, de pensées, de projets. Après la sidération, le désespoir. Et puis, très vite, raconte le spolié : « Je vois là comme un nouveau départ, je me persuade que les emmerdements sont là pour notre bien, je rêve de tourner un film sur cette histoire : une femme – ce sera Marianne Denicourt -, écrivain, se fait voler son manuscrit, se fait voler sa vie. Le titre est là : « La vertu des impondérables ». Et puisque le destin m’a allégé si brutalement de mes précieux documents, je décide de m’alléger aussi de la caméra que je porte, que je transporte depuis toujours et de réaliser ce nouvel opus avec un téléphone portable. J’étais parti sur cette idée consolatrice lorsque, huit jours plus tard, je rencontre Jean-Louis Trintignant. Et là, l’évidence me submerge : il me faut retrouver avec lui, marqué par les années comme nous le sommes tous, la jeunesse qui fut la sienne, qui fut la nôtre, retrouver Un homme et une femme (1). Il dit non, refuse « d’abîmer notre film mythique », et puis il accepte. Pour le titre, je m’inspire d’une phrase de Victor Hugo : « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues ». Ce sera Les plus belles années. Dont Francis Lai, « le cœur battant de tous mes films », dit Claude Lelouch, aura eu le temps de signer la partition juste avant de disparaître.
Les premières scènes sont bouleversantes. Un fantôme gris et fragile est assis dans le parc triste d’une maison de retraite. C’est Jean-Louis Trintignant. C’est le fringant coureur automobile Jean-Louis Duroc. Une femme se dirige vers lui, encore belle, toujours belle. C’est Anouk Aimée, c’est la script-girl Françoise Gauthier. Ils se sont tant aimés. Il ne la reconnaît pas. Puis sa mémoire se réveille, pas besoin de trucages, de gesticulations, il se souvient, et il voit, nous voyons les images inoubliables, inoubliées d’Un homme et une femme, cinquante-deux ans plus tard. Le fantôme gris alors sourit et l’âge et ses dommages disparaissent en un éclair, en un sourire… Les plus belles années, où l’on retrouvera aussi les deux enfants qui couraient sur la plage de Deauville, désormais quinquagénaires (Antoine Sire et Souad Amidou), a été achevé en treize jours. Suivi immédiatement du tournage de La Vertu des impondérables conclu au téléphone portable en treize jours également. Emporté par un touchant et fécond sentiment d’urgence, Claude Lelouch n’a pas l’intention de s’arrêter là, il ne pense qu’à l’avenir « parce que le passé, c’est comme serrer un mort dans ses bras ». Ce qu’il veut, c’est encore et encore connaître la fin de ses propres histoires « peuplées de gens imparfaits, les défauts étant plus photogéniques que les qualités ». Ainsi songe-t-il sérieusement à réunir à nouveau Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina pour savoir ce que ses personnages, Sam et Albert, sont devenus depuis leur triomphal Itinéraire d’un enfant gâté. « Ils sont là tous les deux », dit Lelouch, « trente ans après, ils sont là, comme Anouk et Jean-Louis sont là… Le film s’intitulerait, s’intitulera Itinéraire de deux enfants gâtés ». Et l’irréductible « metteur en vie » comme il se nomme, conclut crânement : « À l’âge que j’ai, je n’ai plus que le temps de faire des folies ».
(1) Un homme et une femme avait déjà connu une suite en 1986 : Un homme et une femme : vingt ans déjà.