Spetters, la blonde et les bêtes
Alors que son formidable dernier film, Elle, avec Isabelle Huppert est en salle actuellement, Spetters de Paul Verhoeven sort pour la première fois en DVD : une oeuvre rare, effervescente et iconoclaste. A voir absolument.
La carrière de Paul Verhoeven n’aura pas été de tout repos : le « Hollandais violent » (comme l’appellent de nombreux cinéphiles aujourd’hui) aura fait régulièrement scandale depuis ses débuts dans son pays d’origine (notamment avec Spetters), mais aussi aux Etats-Unis (avec Show Girls) pour à peu près toujours les mêmes raisons : son style si particulier au cinéma – du Quatrième Homme (1983), en passant par Robocop (1987), Total Recall (1990), Basic Instinct (1992) – un ton frondeur qui aura fait évoluer les canons des genres qu’il s’est accaparés, résistant au système hollywoodien sans jamais rien nier de ses obsessions.
Ces dernières se retrouvent par ailleurs réunies dans Spetters (1980), édité en dvd chez BQHL, un film de la période hollandaise qui pourrait servir de lexique pour décoder son auteur. Dans ce film, Verhoeven suit l’itinéraire de trois jeunes hommes de classe ouvrière, passionnés de motocross dans la périphérie de Rotterdam. Leur quotidien est soudainement bouleversé par l’arrivée d’une belle blonde, opportuniste et vendeuse de frites, qui jette son dévolu sur l’un des trois amis…
Difficile d’imaginer sous la teneur apparemment classique de cette trame, combien l’esprit sulfureux de Verhoeven est capable de se mettre en marche, ne serait-ce qu’au détour du profil avantageux de son actrice (Renee Soutendijk) à l’incandescente blondeur hitchcockienne. Et pourtant, Verhoeven étonne dans sa façon de manier un drame de haute voltige dans un univers prolétaire, recroquevillé sur le thème de l’ambition dévorante, du corps et de la liberté, avec des portraits toujours inattendus de femmes et de garçons sans concession. Certaines séquences, pour leur cruauté (sexuellement explicite), méritent d’avertir le spectateur, mais ce dernier sera toujours happé par la fluidité de sa mise en scène, son sens du suspens, celui d’un cinéaste très cinéphile (la course de motocross est directement inspirée et découpée comme dans Ben Hur de William Wyler). Enfin, c’est par son regard subversif et novateur, en un mot précurseur, que Verhoeven achève de convaincre, traitant d’une ribambelle de tabous en toute tranquillité et laissant au spectateur l’impression qu’un tel spectacle serait bien difficile à (re)produire aujourd’hui…