À l’exception notable de la montée en puissance des plates-formes et des avancées, modestes mais réelles, dans la considération du travail des femmes derrière la caméra, les Oscars de cette année se sont soldés par une moisson de récompenses assez prévisibles dans un contexte toujours incertain pour un Hollywood en pleine révolution.
L’événement aussi attendu que redouté est finalement arrivé : une œuvre distribuée exclusivement sur une plate-forme de streaming a remporté l’Oscar du meilleur film. Non pas The Power of the Dog, production favorite distribuée par Netflix, mais CODA, remake américain de La Famille Bélier, plus discrètement distribué par Apple+ TV. La victoire, certes modeste, de ce film (trois Oscars pour trois nominations) montre les bouleversements qui agitent Hollywood aujourd’hui. La montée en puissance (irrésistible ?), donc, des plates-formes, alors que le monde ne semble pas sorti de deux ans de pandémie. Mais aussi la volonté des membres de l’Académie des Oscars de rendre une plus juste place aux femmes, trop longtemps ignorées dans leurs rôles à des postes clés. Car CODA est réalisé par une femme, Sian Heder (qui a reçu l’Oscar du meilleur scénario adapté), et Jane Campion est repartie avec l’Oscar de la réalisation (le seul reçu par The Power of the Dog, douze fois nommé). Succès indéniable lors de sa présentation au Festival de Sundance, CODA est également un remake, comme quatre des dix films nommés à l’Oscar suprême cette année, symptôme d’une industrie qui semble plus que jamais se chercher. Mais cette recherche ressemble à un dangereux surplace quand on regarde l’ensemble des récompenses. Dune, indéniable performance technique, est reparti gagnant de la soirée, avec six statuettes, récompensant, justement, uniquement des postes techniques. Encanto, la fantastique famille Madrigal, le Disney annuel, est reparti avec l’Oscar du meilleur film d’animation. Jessica Chastain et Will Smith, respectivement meilleure actrice et meilleur acteur, ont été récompensés pour des performances très attendues dans deux biographies, ultra-calibrées : Les Larmes de Tammy Faye et La Méthode Williams. Les meilleurs seconds rôles féminin et masculin ont été attribués à Troy Kotsur (CODA) et Ariana DeBose (la seule récompense de West Side Story, qui comptait sept nominations), donnant l’impression qu’Hollywood cherche à tout crin à se donner des gages de bonne conduite en récompensant des personnes issues de minorités représentatives. Cette recherche d’inclusivité s’étend désormais au cinéma dans sa globalité.
Si la Mecque du cinéma a depuis toujours attiré des talents du monde entier, de Victor Sjöström à Guillermo del Toro en passant par Jacques Tourneur et John Woo, sa volonté d’hégémonie cinématographique englobe désormais la sélection d’œuvres venues d’un peu partout. De Z de Costa-Gavras à Parasite de Bong-joon Ho, en passant par Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, les films en langue étrangère ont ponctuellement été sélectionnés aux Oscars (en dehors de la catégorie meilleur film en langue étrangère, évidemment). Mais la sélection de cette année donnait l’impression que les films venus d’ailleurs pouvaient, encore plus que d’habitude, participer au même titre que des productions hollywoodiennes. Trois nominations (dont celle du meilleur film) pour Drive My Car, deux pour Madres parallelas, une pour Julie (en 12 chapitres) et deux pour Flee, qui concourait à la fois dans la catégorie documentaire et animation. Même s’ils sont tous repartis bredouilles (à l’exception, justement de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour Drive My Car) cette exposition donne aussi l’impression que l’Académie, qui accueille de plus en plus de films et de votants venus du reste du monde, cherche à tout prix à signifier le renouvellement d’une industrie en pleine incertitude.