Mort de Michel Legrand, figure majeure du cinéma

Michel Legrand, l’un des compositeurs français les plus connus dans le monde, auteur de musiques de films inoubliables (Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Yentl…), est mort dans la nuit du vendredi 25 au samedi 26 janvier 2019 à l’âge de 86 ans, après une carrière de plus de cinquante ans, trois Oscars, aux côtés de cinéastes les plus divers : Jacques Demy, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Rappeneau, Norman Jewison, Joseph Losey, et même Clint Eastwood et Orson Welles.

Son genre de prédilection était le jazz. Grand mélodiste du cinéma international, ce Français aux trois Oscars rencontre Jacques Demy en 1961 pour Lola (1962) et deviendra pour lui un auteur de chansons pour des films musicaux (Les Demoiselles de Rochefort, 1967). Il contribue à trois films de Godard (Une femme est une femme, Vivre sa vie, Bande à part) et à trois films de Jean-Paul Rappeneau (La Vie de château, Le Sauvage, Les Mariés de l’an II). En 1966, il s’installe à Los Angeles, où il rencontre Norman Jewison (L’Affaire Thomas Crown – 1968, avec la célèbre chanson The Windmills of Your Mind) et Clint Eastwood (Breezy, 1973). On peut citer parmi ses autres partitions marquantes, celle du film musical Yentl (1983) de Barbra Streisand qui vient de ressortir en salles, ainsi que son ultime partition de cinéma pour le film posthume exhumé d’Orson Welles De l’autre côté du vent (diffusé en 2018 sur Netflix).

Sa particularité est d’avoir toujours considéré qu’il devait faire une musique personnelle pour le cinéma, ne jamais être soumis aux films, n’être jamais dans la simple illustration, signer des partitions qui puissent être pleinement audibles sans les images. À regarder sa manière d’emmener les films vers une dimension pleinement musicale (le fait que Les Parapluies de Cherbourg soit un film entièrement chanté est une proposition de sa part) témoigne à la fois d’un désir de prendre la vedette, que sa musique soit le guide principal, et aussi d’une grande estime dans le pouvoir musical du cinéma. Les réalisateurs ne faisaient jamais appel à lui comme un simple collaborateur secondaire, ils devaient l’impliquer dès l’écriture, ou alors le compositeur se chargeait de prendre sa place. Et c’est là son génie, dans cette façon de s’immiscer parfois au sein du montage et des dialogues, et faire danser les images. Chez Godard, dans Une femme est une femme, la musique était ajoutée après le montage, mais au final on a l’impression que les comédiens chantent, tellement la musique ponctue chaque phrase. Pour La Vie de château (1966), Jean-Paul Rappeneau l’a contacté une fois le film terminé. Legrand a déploré le peu de place accordé à la musique. Malgré cela, il s’est glissé malicieusement sous les paroles. Il imagine chaque scène comme si elle était tournée sur de la musique.

Côté récompenses, s’il fut honoré aux États-Unis (trois Oscars pour les chansons de L’Affaire Thomas Crown et Yentl, ainsi que pour la musique de Un été 42), il ne le fut pas aux César (malgré ses trois nominations, pour Paroles et musiques, Les Uns et les Autres – partagé avec Francis Lai – et Atlantic City). Il appartient à la génération des compositeurs nés dans les années trente, qui ont commencé avec la Nouvelle Vague, et après Francis Lai disparu il y a deux mois (avec lequel il a composé Les Uns et les Autres de Claude Lelouch, en 1981), c’est tout un pan de la musique de cinéma qui s’en va. Il reste encore Lalo Schifrin et Ennio Morricone.

Michel Legrand part après un regain d’activité, au cinéma avec Xavier Beauvois, dans les salles de concerts en décembre dernier à la Philharmonie de Paris, et sur scène avec l’adaptation scénique de Peau d’âne, pour laquelle il a écrit de nouvelles musiques. Son talent a pu s’exercer dans tous les domaines : le jazz (auprès de Frank Sinatra, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Miles Davis, Bill Evans, Paul Chambers ou encore John Coltrane), la chanson (avec Charles Trenet, Édith Piaf, Nathalie Dessay…), le cinéma (et ses 200 partitions), la scène, mais aussi les orchestres symphoniques qu’il dirigea aux États-Unis ou en Russie.

 

Benoît Basirico

Créateur du site dédié à la musique de film, Cinézik.org.