Créé en 1979 par deux frères cinéphiles, Philippe et Alain Jalladeau, désireux de montrer au monde et à la critique des cinématographies souvent oubliées, le Festival des 3 Continents de Nantes a bientôt quarante ans. Retour sur cinq grands moments ayant marqué l’histoire d’un des festivals de cinéma les plus exigeants.
1984 et 1985 : HHH. Bien avant les chefs-d’œuvre La Cité des douleurs (1989), Millenium Mambo (2001) ou The Assassin (2015), Hou Hsiao Hsien était un réalisateur spécialisé dans les comédies légères, inconnu ailleurs qu’à Taïwan. Jusqu’à ce qu’il signe coup après coup Les Garçons de Fengkuei (1984) et Un été chez grand-père (1985), deux récits d’enfance, autobiographiques, en rupture stylistique avec son cinéma précédent. Couronnés l’un après l’autre de la Montgolfière d’or du Festival des 3 Continents (le « grand prix » du Festival), ces deux véritables premières œuvres signent la naissance d’un grand cinéaste.
1987 : Koker, déjà. La révolution iranienne a presque dix ans. Le Festival des 3 Continents accueille un réalisateur à l’œuvre déjà considérable, mais peu connu en Occident. Abbas Kiarostami est à Nantes pour présenter pour la première fois en France son nouveau long-métrage de fiction, l’histoire d’un jeune écolier sous forme de récit initiatique. Premier volet de ce qui s’appellera plus tard La Trilogie de Koker (du nom d’un village au nord de l’Iran, dévasté en 1990 par un tremblement de terre), Où est la maison de mon ami ? sera, à l’époque, le plus grand succès de Kiarostami en France
2000 : Produire au Sud. Si les cinématographies de ces trois continents sont rares, c’est qu’il y est parfois difficile de produire ou faire produire son film. Pourtant, de nombreuses aides existent pour inciter à la coproduction entre pays européens (comme la France), et pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, à l’image de l’Aide aux cinémas du monde du CNC. Depuis l’an 2000, le Festival de Nantes est devenu une plaque tournante pour les coproductions avec ces pays dit « du Sud ». L’atelier « Produire au Sud » permet en effet à de jeunes producteurs des « trois continents » de bénéficier d’une formation intensive de sept jours à la coproduction internationale accompagnée par de nombreux producteurs renommés. De quoi faire naître de nouvelles cinématographies…
2009 : Quinze fois Kyoshi Kurosawa. Pour certains, c’est le maître japonais du cinéma d’horreur, d’angoisse ou de science-fiction. Habitué du festival, le cinéaste a eu les honneurs d’une rétrospective quasi intégrale, avec quinze films, des plus connus comme Cure (1997), polar à la lisière du surnaturel ayant révélé le réalisateur au grand public ou Kaïro (2001), explorant le difficile problème des suicides d’adolescents au Japon à travers l’histoire d’un mystérieux site internet à l’origine de nombreux décès, jusqu’à ses œuvres de jeunesse, inédites en France. Il faut croire que les honneurs de Nantes ont dopé le réalisateur, puisque Kyoshi Kurosawa a depuis réalisé huit nouveaux films. De quoi mériter une nouvelle rétrospective ?
2018 : Un livre et une rétro pour la quarantième. Quoi de mieux pour célébrer un si bel anniversaire qu’une publication littéraire ? Plutôt qu’un livre de souvenirs, D’autres continents, mouvances du cinéma présent (Editions Warm) est un ouvrage théorique important et exigeant, où se côtoient des textes de nombreux universitaires, cinéastes et critiques renommés (Dork Zabunyan, Jacques Aumont, Jean-Michel Frodon, Kleber Mendonça Filho, Dominique Païni…), sous la direction de Jérôme Baron, directeur artistique du festival. Plutôt qu’une « bible » du cinéma d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie, cet essai est davantage une référence théorique posant les bases pour de nouvelles réflexions sur, notamment, la territorialité de ce cinéma de « trois continents » à l’épreuve de la révolution numérique.
Enfin, à l’ occasion de sa quarantième édition, le Festival des 3 Continents a également proposé une rétrospective de quarante films d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine ayant marqué l’histoire du cinéma. Notamment : La Libertad, de l’Argentin Lisandro Alonso (2001), fiction radicale et ultra-réaliste sur la vie d’un bûcheron dans la Pampa, aussi belle et intrigante que son titre ; ou encore The Lebanese Rocket Society (2013) de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Je veux voir), documentaire fascinant sur la méconnue conquête spatiale libanaise. Mais aussi, des (grands) films d’Edward Yan, de Tsai Ming-liang, de Jia Zhangke, de Wang Bing, d’Apichatpong Weerasethakul, de Mahamat Saleh Haroun, de Lav Diaz… Qui a dit que le cinéma « du Sud » était méconnu ?