Il est sans conteste l’un des plus grands cinéastes de ce temps. Rétrospective intégrale à domicile en un court et huit longs constituant ce magnifique coffret Nuri Bilge Ceylan. Écran géant de rigueur…
Beautés fulgurantes, paysages de steppes ou de neiges, visages traversés d’émois souvent indicibles, chevelures éparpillées par le vent, déchirures de l’âme et vibrato de la nature. Chaque film signé du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, de son premier, Kasaba, découvert à Berlin en 1998, à son dernier, Le Poirier sauvage, présenté en compétition à Cannes en 2018, est un moment de cinéma absolu.
Exigeant, certes, contemplatif et bavard aussi. Mais unique, vibrant et universel. Quoi de commun entre nous et cet homme quittant son village pour devenir quelqu’un d’autre : réalisateur, photographe, écrivain, ou simple matelot ? Tout. Toujours. Cette figure parcourt plusieurs films, à commencer par son premier court-métrage, Koza (1995).
Souvent adaptés ou inspirés d’Anton Tchekhov, traversés d’accents dostoïevskiens, ses films sont la vie même. Lente et violente. Certains se suivent et se répondent : Le Poirier sauvage revient aux sources de la famille, du village et des rêves caressés mais jamais embrassés des deux premiers longs, Kasaba et Nuages de mai. Uzak est la suite logique de ce dernier, même si les personnages ont changé de prénom et si le réalisateur, le Stambouliote accueillant son cousin venu de Ça (Çanakkale) est ici photographe. Le couple, ses impossibilités et ses délitements, est partout, mais bel et bien au centre des Climats, interprété par Nuri Bilge Ceylan lui-même et sa propre épouse, Ebru Ceylan, coscénariste de tous ses films à partir du suivant, Les Trois Singes. La responsabilité, la culpabilité irriguent tous les films ; elles vont d’un petit garçon qui protège un œuf (Nuages de mai) au meurtrier d’Il était une fois en Anatolie, en passant par tous ces traîtres du quotidien que sont les adultérins, les menteurs et les lâches, dont le plus beau fleuron est l’acteur devenu hôtelier de Winter Sleep.
D’êtres qui n’ont plus de rêves en êtres s’accrochant encore à quelques illusions, ce cinéma désenchanté dit aussi que, si on continue de creuser, qui sait, un jour peut-être trouverons-nous de l’eau… Les plans, d’une beauté époustouflante, cadrés comme autant de tableaux distillent une mélancolie teintée de résignation. Ce cinéma-là, tissé de sensations et d’émotions, est exigeant dans tous les sens du terme. Beau à tomber, il est indispensable.