Depuis vingt ans, Émergence, résidence et laboratoire de création, a permis à de nombreux réalisateurs d’émerger et à de nombreux films d’éclore, de Podium de Yann Moix à Compte tes blessures de Morgan Simon en passant par Tristesse club de Vincent Mariette ou La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko. Retour sur un laboratoire du cinéma de demain.
1998. L’actrice Élisabeth Depardieu lance un projet à la fois unique et complexe : détecter de jeunes réalisateurs prometteurs et leur offrir la possibilité d’expérimenter, de tourner des séquences d’un projet de film embryonnaire pour voir simplement « ce qui marche, et ce qui ne marche pas». « C’est l’occasion d’essayer des choses avec des acteurs et des techniciens», explique la déléguée générale d’Émergence, Nathalie Bessis. « C’est la possibilité pour les réalisateurs de prendre des risques, mais avec une forme d’impunité ». En effet, si d’aventure la séquence ne rend pas à l’image ce que souhaiterait le réalisateur, pour des raisons techniques, esthétiques ou scénaristiques, cela ne prête pas à conséquence. Il faudra simplement réadapter le scénario, ou trouver comment tricoter son récit autrement. « Bien sûr, on ne peut pas tout tester, poursuit Nathalie Bessis : on choisit, avec le réalisateur et son parrain (un réalisateur reconnu aux ambitions similaires), les séquences qu’on tournera dans le cadre de la résidence ». La déléguée générale prend ainsi l’exemple d’Elie Grappe, jeune réalisateur sélectionné cette année, parrainé par Clément Cogitore, et préparant un long-métrage de fiction aux frontières du documentaire centré sur une gymnaste ukrainienne en pleine révolte Euromaïdan. « Pour le tournage des séquences à Émergence, Elie Grappe et son producteur Tom Dercourt ont fait venir d’Ukraine une gymnaste de l’équipe nationale ukrainienne. Ils ont donc pu tester le travail cinématographique avec une jeune athlète étrangère d’une quinzaine d’année – ils ont pu tous deux s’apprivoiser, et s’entraîner avant le tournage réel ». Une chance énorme, tant pour le réalisateur, qui vérifie si son idée est bonne ou non, que pour le producteur, qui gagne du temps.
Du cinéma aux séries
Vingt ans après sa première édition, si ce laboratoire de création reste le cœur de l’activité d’Émergence, l’association a de nombreuses missions parallèles. A côté de cette résidence pour réalisateurs, Émergence développe depuis 15 ans avec la SACEM, un programme pour les compositeurs de musique de films, permettant à trois d’entre eux de travailler sur la musique des films des réalisateurs de la résidence, et ainsi de favoriser la rencontre entre jeunes réalisateurs et compositeurs. De plus, Émergence propose également un stage de jeu face caméra pour acteurs (auquel ont participé dans les précédentes éditions des comédiens aujourd’hui de premier plan comme Swann Arlaud ou Damien Bonnard), qui permet aussi aux réalisateurs de travailler la direction d’acteurs – rappelons qu’Émergence est né dans l’esprit d’une actrice, Élisabeth Depardieu. « La grande différence entre Émergence et les autres résidences pour réalisateurs, c’est que tout le travail n’est pas centré sur le scénario », précise Nathalie Bessis, regrettant que le scénario soit parfois trop présent dans la mise en avant des projets face aux financiers. Néanmoins, avec la SACD, Émergence propose également un programme pour auteurs, mais orienté sur l’écriture de séries, permettant aux scénaristes de développer les compétences particulières de l’écriture sérielle, très particulières et différentes du métier de scénariste solitaire cher au cinéma français.
Avec le temps, et au vu des carrières des réalisateurs, scénaristes, compositeurs et acteurs ayant participé à l’un des programmes, les candidatures se sont fait de plus en plus nombreuses. « Concrètement, on pourrait faire des ateliers à l’année », explique la déléguée générale, qui se refuse toutefois à appliquer ce principe. « On a toujours fonctionné de manière artisanale, on connaît chaque intervenant, chaque technicien. C’est une manière de travailler qui nous tient à cœur », poursuit Nathalie Bessis. Du côté des réalisateurs, Émergence reçoit chaque année plus d’une centaine de candidatures, sachant que les conditions ne sont pas simples à remplir : il faut un projet de long-métrage écrit – et de préférence déjà porté par un producteur. « Ce n’est pas gravé dans le marbre – il est arrivé qu’on accepte, de manière très exceptionnelle, des réalisateurs n’ayant qu’un traitement. Mais il faut que l’on sente, avec presque une certaine certitude, que le film se fera, en définitive », précise la déléguée générale. « Il faut que le film soit déjà trouvé, qu’il nous apparaisse comme une évidence – mais en même temps, il faut que le projet soit encore en mouvement, ne soit pas définitivement ficelé – ce qui n’est pas forcément évident ! ». Il n’est pas n’ont plus nécessaire d’avoir un producteur – même si les projets arrivés sans producteur à ce niveau de maturité et d’évidence sont rares – et les quelques projets sans producteurs déclenchent vite l’intérêt de la profession dès leur sélection à Émergence.
Rejoindre l’émergence
Pour les réalisateurs sélectionnés, le travail non plus n’est pas évident. Leur projet soutenu par Émergence sera étudié par de nombreux professionnels qui apporteront leurs conseils et leurs critiques. Il n’est pas toujours simple pour un artiste de confronter aux regards d’autres les fruits d’un travail personnel. « Mais ça les forme, explique Nathalie Bessis, car dans leur vie future de réalisateurs, leurs projets seront soumis à de nombreux regards extérieurs, et pas forcément toujours aussi bienveillants qu’à Émergence ! ». Un projet de film est sans cesse remodelé, de son premier scénario à sa version définitive. Le rôle d’Émergence est aussi de dédramatiser ce processus, tout en permettant aux réalisateurs de gagner du temps. Les réalisateurs d’Émergence sont ainsi sélectionnés en deux tours : dans le cadre du premier, les projets sont lus par un comité de lecture puis validés par la déléguée artistique – Élisabeth Depardieu pendant dix-sept ans, aujourd’hui Hélène Cases, productrice. Puis, dans un second tour, les réalisateurs sont auditionnés par un jury reflétant les professions qu’ils auront à convaincre dans leur carrière professionnelle : notamment, un réalisateur confirmé (Cédric Kahn l’an passé), un producteur important (Haut et Court), un représentant d’une grande chaîne de télévision (Canal+). Un jury qui permettra d’évaluer aussi le potentiel du film face à la réalité du marché. « Il est, en effet, important que les films d’Émergence s’inscrivent dans une certaine réalité », souligne Nathalie Bessis. En définitive, six projets sont retenus avec une grande hétérogénéité des genres et des styles. Les inscriptions se font début septembre, et les nouveaux projets sont annoncés en décembre. Plus que quelques mois donc, pour découvrir la future nouvelle génération du cinéma français…