L’esprit d’escalier
Les marches sont légion à Cannes : marches rouges qui mènent à la salle Lumière – lieu du selfie suprême –, ou à la salle Debussy, sur le côté du Palais des Festivals ; marches blanches dans l’enceinte du Palais qui dessinent des volutes dans l’espace et voient monter les festivaliers ivres d’images et de sons.
En cette fin de festival, la fatigue emportant la partie, nos esprits colonisés voient se télescoper visages, décors ou lumières. Dans les moments d’assoupissement propres aux fins de marathon, ces réminiscences surgissent dans la plus grande anarchie. Parfois, une séquence en appelle une autre, issue d’un autre film vu plus tôt, dans un jeu d’écho mental où s’entrechoquent ces univers de cinéma, confrontés les uns aux autres lors de ces séances qui s’enchaînent. Dans la mêlée, des images, des séquences surnagent, résistent à la confusion, triomphent du trop-plein. En voici quelques-unes :
Elle est face à la caméra et doit faire un discours au marié pour une vidéo-souvenir. Virginie Efira se vautre, se reprend, se vautre encore, elle est hilarante, confondante de naturel dans Victoria de Justine Triet (découvert à la Semaine de la Critique) où elle passe d’un registre à l’autre dans une météo changeante et réjouissante.
Elle est vorace, hors-norme, flamboyante et interprétée par l’actrice chilienne Pamela Flores, la muse de Poesia sin fin d’Alejandro Jodorowsky, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Ce film est une ode à la liberté, à la créativité, à l’art et à la vie. Son énergie, sa fantaisie et sa fougue nous ont portés pendant tout le festival, sans quitter notre mémoire. Quel beau film nécessaire !
C’est un coup d’œil, un regard troublé, celui de Bérénice Béjo à Cédric Kahn dans la scène de danse familiale de L’Economie du couple de Joachim Lafosse (sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs). Instant de liesse bouleversant, à l’heure où l’amour est en berne dans ce couple en pleine séparation.
Cheveux courts, regard butté, elle est l’héroïne maître-nageuse du très charmant L’Effet aquatique de Sólveig Anspach : Florence Loiret-Caille se dandinait, fantasque et amusante, sur la scène de la Quinzaine des Réalisateurs où le film a été très longuement applaudi à la fin de sa projection.
Un gigantesque bonhomme poilu, masque bulgare destiné à éloigner les mauvais esprits est le révélateur de Toni Erdmann, le beau film de l’Allemande Maren Ade présenté en Compétition officielle. Il a même monté les marches rouges du Palais des Festivals avec toute l’équipe. Quelques jours plus tard, dans le très réjouissant Apnée de Jean-Christophe Meurisse, présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, le même bonhomme noir et poilu accompagnait un acolyte blond. Hasard ou coïncidence ?
Elle déploie son ample chevelure, ébauche une arabesque du bras, se déhanche nonchalamment au son d’un vinyl posé sur sa platine : Sonia Braga est la sublime et merveilleuse interprète d’Aquarius de Kleber Mendonça Filho, en compétition. Il est des films qui lavent le regard, qui vous régénèrent par leur beauté, leur simplicité, leur poésie. La Tortue Rouge, premier long-métrage d’animation signé Michael Dudok de Wit (Un certain Regard) est de ceux-là : un naufragé, une île déserte, et toute la vie à réinventer…
Anne-Claire Cieutat et Isabelle Danel.