Le Festival de Cannes, c’est une succession de temps forts, mais pour que ceux-ci existent mieux, il faut aussi des moments plus faibles. Ça tombe bien, ils me sont proposés aujourd’hui en Sélection officielle.
Dix ans après Selon Charlie, Nicole Garcia revient en compétition avec l’adaptation cinématographique du roman Mal de pierres, de Milena Agus. Plutôt connue pour ses portraits d’hommes, la réalisatrice du Fils préféré s’attache ici à un personnage de femme tourmentée dans la France de la Seconde Guerre mondiale. Si Nicole Garcia soigne sa reconstitution, soutenue par une Marion Cotillard visiblement impliquée, rien ne dépasse malheureusement dans sa réalisation trop sage et trop propre, qui ne colle pas un instant à l’intensité du drame censé se jouer à l’écran. On en veut d’autant plus à la cinéaste qu’elle a toujours su, avec des fortunes diverses, donner une vraie singularité à ses précédentes œuvres.
La singularité est bien présente en revanche à la projection de Dogs, montré dans la section Un certain regard. Ce premier film du cinéaste roumain Bogdan Mirica, pourrait être considéré comme une variation sur le No Country for Old Men, des frères Coen. La mise en scène au cordeau de cette œuvre qui navigue entre thriller et western donne évidemment envie de parier sur un cinéaste plus que prometteur.
L’évocation du film me permet une petite digression sur son financement puisque Dogs fait partie des douze films soutenus par L’Aide aux cinémas du monde, présentés à Cannes cette année. Piloté par L’Institut français, ce précieux fonds de soutien a permis notamment d’aider Sieranevada, de Cristi Puiu, ou Wolf and Sheep, beau premier film afghan de Shahrbanoo Sadat, présenté, à l’heure où ces lignes sont écrites, à la Quinzaine des Réalisateurs. L’Aide aux cinémas du monde voisine avec un autre programme qui peut rappeler celui de la Cinéfondation, intitulé La Fabrique des cinémas du monde. Parrainé l’année dernière par Claire Denis il est en 2016 entre les mains de Jia Zhangke, présent à Cannes pendant trois jours pour examiner dix projets (huit fictions et deux documentaires) de cinéastes en devenir. Plein de promesses de films, donc, en provenance de pays dont on connaît souvent mal les cinématographies.
Après ce petit intermède didactique, retour aux films projetés en cette belle journée avec la présentation à la Quinzaine des Réalisateurs de Mean Dreams, second film du canadien Nathan Morlando. Lors de la conférence de presse de la Quinzaine, Edouard Waintrop avait parlé des Amants de la nuit pour donner une idée de ce thriller rural, qui voit deux adolescents tenter de fuir un policier brutal et corrompu, incarné avec gourmandise par Bill Paxton. Si la référence à Nicolas Ray peut paraître un peu écrasante, ce joli film, qui manque parfois un peu de rythme, fait la part belle à ses deux jeunes comédiens épatants, qui se débattent dans une nature aussi belle qu’indifférente au drame qui se joue.
Indifférence est peut-être le mot le plus précis pour décrire les sensations qui m’étreignent à la vision de l’avant-dernier opus de Jim Jarmusch (on pourra également voir dans quelques jours son documentaire sur Iggy Pop en séance de minuit) présenté en Compétition, Paterson. Chronique gentiment zen de la vie d’un chauffeur de bus poète (Adam Driver) qui mène une vie paisible avec sa douce et belle compagne (Golshifteh Farahani), ce film poursuit la transformation inquiétante du cinéma de l’auteur de Mystery Train en visite lymphatique d’un univers de hipsters mal réveillés. Pour ne rien arranger, un gag canin récurrent, qui devrait valoir au film la Palme Dog, à défaut d’autre chose, nous rappelle le premier film vu ici cette année, le navrant Teen Star Academy, présenté dans une indifférence planétaire au Marché du film en début de festival.
Pour ne pas terminer sur une note trop amère, souhaitons une bonne journée à notre successeur, qui aura notamment Loving, de Jeff Nichols, au programme de sa journée cannoise.