L’aventure cannoise de Happy-end de Michael Haneke se soldera-t-elle, à l’image de son titre, par une résolution positive ? Semblable à ce qui arrive fréquemment (et souvent injustement) dans le plus grand festival du monde, les choses ont un peu mal commencé pour lui : les critiques, au travers de leurs petites étoiles, tweets et notules, ont jugé Happy-end de manière expéditive et désabusée. Faut-il y voir de la fatigue, un nivellement par le bas de la presse internationale ou un brin de malhonnêteté intellectuelle visant à flinguer le grand Maître autrichien aux deux palmes d’or (en 2009, Le Ruban blanc et 2012, Amour) ?
Il faudra bien l’admettre, Happy end est un grand film d’auteur, ultra-maîtrisé, vivant, intelligent et profond. Ici ou là on lui prête lui les symptômes du « film mineur » (tels à l’époque « Sandra » de Luchino Visconti ou « Juliette des Esprits » de Federico Fellini), tout cela sans trop d’arguments, un peu comme quelqu’un qui cherche ses lunettes alors qu’il les porte sur son nez.
Le plaisir d’assister à un cinéma de haute qualité ne semble donc pas être vraiment à la mode (le spectacle des pitreries de Louis Garrel singeant Godard dans « Le Redoutable » de Hazanavicius est davantage le truc du moment). Il faudra donc prendre le temps et expliquer en quoi Happy End est un si beau film qui ne démérite jamais, et par les thèmes qu’il aborde, pourquoi il est propice au refoulé des premiers spectateurs.
L’exigence de Haneke dans Happy End, bien ancrée dans la considération qu’il a (et qu’il a toujours eue) du spectateur, n’engage pas la facilité à le suivre. Rien n’y est prémâché dans cette histoire de bourgeois où l’on retrouve Jean-Louis Trintignant à l’élégance suprême et Isabelle Huppert, fidèle et experte en cet art de la cruauté. Haneke y procède par indices, expose ses personnages par énigmes, avance lentement les pièces du jeu d’échec(s) d’un tableau pointilliste aux ambitions philosophiques : enserré dans vernis social de l’élite, comment choisir sa vie, décider de son chemin ? Et comment choisir sa propre mort ?
Haneke décline les postures de chacun de ses personnages à l’aune de ses failles : une petite fille perturbée, tueuse nonchalante et implacable, son oncle, héritier paumé sous le joug de sa mère possessive, un père veuf obsédé sexuellement par une violoncelliste, un patriarche enfin, garant des convenances et qui désire la mort, à l’image de la phrase de Stig Dagerman « Le suicide est la seule preuve de la liberté de l’homme ». La beauté signifiantes des plans, la construction du récit, la pluralité esthétique dominent ainsi ce HAPPY END, film dense et effroyable, qui touche le cœur du spectateur et l’essence même du cinéma : l’émotion.