« On apprend à respirer de la même manière que l’acteur »

Entretien avec Stéphane Fontaine, chef-opérateur de Revoir Paris

Il signe la photographie de Revoir Paris. Le chef-opérateur Stéphane Fontaine – à qui l’on doit aussi l’image de films de Jacques Audiard (De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète, De rouille et d’os), Julie Delpy (My Zoe), Arnaud Desplechin (Comment je me suis disputé, Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes, Jimmy P.) ou Pablo Larrain (Jackie) est aussi au cadre. Son œil sensible est entré en résonance avec celui de la cinéaste Alice Winocour et son actrice, Virginie Efira. Conversation autour de cette collaboration, du phénomène d’identification, des fantômes, de Paris et de la grâce.

 

Alice Winocour raconte vous avoir présenté un cahier d’inspirations en amont du tournage de Revoir Paris, dans lequel vous avez observé des tonalités conjointement chaudes et froides.

Je ne me souviens plus du contenu de ce moodboard, mais bien de cette cohabitation entre les tonalités. Alice ne l’avait pas remarqué elle-même, mais moi, cela m’a frappé. Nous sommes donc partis dans cette direction, sans y mettre des mots en particulier. Cette dualité intéressait Alice, entre les morts et les vivants, l’ombre et la lumière.

Que représente pour vous le texte de Tanizaki, Éloge de l’ombre ?

Je ne l’ai pas lu depuis des années, mais c’est un ouvrage extrêmement pertinent pour toute personne intéressée par la lumière.

Alice vous a embarqué à la lisière entre deux mondes avec ce film. Que cela implique-t-il de filmer des fantômes au cinéma ?

J’espère surtout que le fantôme ne se rend pas compte qu’on le filme, sinon il pourrait disparaître ! Une chose m’a marqué au début de nos conversations avec Alice, ce sont ses références répétées au cinéma de genre, au giallo, à Dario Argento et à des réalisateurs italiens des années 1960-1970, ainsi qu’à Cronenberg. Les spectateurs feront aisément le lien entre la prothèse de Thomas, que joue Benoît Magimel, et Crash. La difficulté, quand on filme des fantômes, n’est pas tant au niveau de la caméra que de l’acteur. C’est lui qui montre la voie et il ne s’agit ensuite que de l’accompagner. En jouant comme elle le faisait, Virginie Efira nous simplifiait la tâche : il n’y avait qu’à être là.

Vous êtes-vous senti entrer en résonance avec les acteurs de ce film ?

C’est exactement ça. D’autant que je suis à la caméra, et non devant un moniteur. Dans mon cas, j’ai besoin de cette proximité avec les comédiens. C’est la chose la plus intéressante qui soi. Mais elle relève aussi du mystère. Le mystère est important au cinéma. Il est bon d’en être conscient et de ne pas vouloir trouver de réponses à toutes les questions. Est-ce par superstition, je n’en sais rien, mais je préfère ne pas connaître toutes les réponses afin de rester ouvert à ce qui se passe. Il faut, d’une certaine manière, accueillir le film. Il faut qu’il se révèle à vous-même au moment où vous le faites. Cela d’autant plus sur ce film dont le personnage enquête sur son propre passé. Ce serait une erreur de trop guider Virginie. C’est à elle de nous montrer la voie.

Dans les premières images du film, qui donnent à voir des gestes du quotidien, une sensation de densité se fait sentir. Je pense notamment au travelling avant sur la panière de fruits, dans laquelle Mia prend une pomme.

C’est presque accidentel et je ne suis pas sûr qu’on remarque ces petits mouvements, mais si on y prête attention, on peut noter que ce n’est pas un plan bien cadré sur une pomme, mais sur un geste furtif. De la même manière, quand on voit Mia sur sa moto dans le plan suivant, elle est au bord de quitter le cadre. Ces petits déséquilibres sont annonciateurs de ce qui va suivre.

Comment trouve-t-on son équilibre quand on filme un personnage en déséquilibre ?

Je pense qu’à un moment, idéalement, ce qui m’intéresse est de me dire que je suis le personnage. Un phénomène d’identification opère de mon côté.

Ce phénomène vous est-il souvent arrivé ?

Oui, de manière plus ou moins évidente. Je ne sais pas comment se construit une image, mais je pense qu’il y a une approche avant tout sensible. Elle passe forcément par une étape technique, mais c’est bien longtemps après. La première approche est sensible, autant dans la compréhension du scénario que de ce que veut le metteur en scène. La technique est là pour traduire ce qu’on a imaginé. C’est pourquoi il faut être très à l’écoute.

Avez-vous étroitement collaboré avec l’ingénieur du son Jean-Pierre Duret ?

Oui. J’ai toujours un retour de sa prise de son au moment où l’on tourne. Je travaille presque plus avec mes oreilles qu’avec mes yeux. Le son est vraiment important. De la même manière, Jean-Pierre est très attentif à la justesse de jeu des comédiens. C’est un dialogue permanent entre nous tous.

Vous avez tourné dans Paris, en immersion, sans bloquer la circulation.

Alice tenait à ce que Paris soit un personnage à part entière. Il s’agissait de capturer la vie de la ville qui se jouait sous nos yeux au moment où l’on tournait.

Vos images nocturnes scintillent. Des points lumineux créent un mouvement dans les plans. Comment y avez-vous travaillé ?

Cela correspondait à l’envie d’Alice de montrer une ville vivante malgré tout. Nous avons cherché des décors qui correspondaient à cette envie et où quelque chose se passe à l’arrière-plan pour restituer l’idée de mouvement dont vous parlez.

Comment filme-t-on Paris la nuit, en s’affranchissant des nombreux films qui y ont été tournés ?

Il y a deux manières : soit on a de l’argent, soit on n’en a pas ! Mine de rien, ça compte énormément. Quand on n’a pas les moyens, il faut s’assurer que les lieux qu’on choisit apportent quelque chose au film et ne fassent pas retomber l’intérêt esthétique qu’on peut y trouver. Alice a choisi ses décors avec précision. Nous avons beaucoup éteint la lumière des lampadaires pour que les images ne soient pas trop éclairées. Quand Mia et Thomas se retrouvent dans la rue, avant d’entrer à la fête de mariage, par exemple, ils sont dans une ruelle très sombre.

Cette scène de fête de mariage tranche visuellement avec le reste du film : elle est teintée de mauve.

Oui, les couleurs – mauve, rose, orange – y sont très saturées.

Que vous inspire le visage de Virginie Efira dans ce film ?

Son visage est le reflet de ses émotions. J’étais, face à elle, dans l’attente des émotions qu’elle éprouve.

Étiez-vous son premier spectateur en étant derrière le viseur de la caméra ?

C’est moins vrai depuis qu’on tourne en numérique et que les écrans se multiplient sur le plateau. Chacun regarde des choses différentes, bien sûr, mais tout le monde est déjà spectateur.

Vous sentiez-vous en phase avec Virginie Efira ?

Oui. On apprend rapidement à respirer de la même manière que l’acteur. C’est un phénomène courant pour celui qui cadre. Un photographe aussi ressent le mouvement de ce qu’il cadre.

Quelle est votre définition personnelle de la grâce ?

 

Avez-vous vécu des moments de grâce sur ce tournage ?

Une scène entre Virginie et Benoît vers la fin du film, très tendue au moment du tournage mais se traduisant à l’écran comme un moment d’abandon.