Riad Sattouf conduit Jacky au royaume des filles, où des beaux gosses en robe aiment des princesses en pantalon. Le dessinateur et réalisateur renverse l’ordre du monde et donne le pouvoir aux dames, sous le régime d’une dictature imaginaire qui vénère le dieu Chevalin. Cendrillon est un garçon charmant, qui rêve d’être sacré Grand Couillon. Mais où va la jeunesse culottée de cette histoire folle ?
Je suis dessinateur de BD à la base et mon cinéma vient de là. Le côté surréaliste du film explique peut-être ce ressenti cartoonesque. Les Beaux Gosses venaient de mes albums sur l’adolescence : Manuel du puceau et Retour au collège, inspirés lointainement de mes souvenirs d’école à Rennes. Jacky part d’une histoire de Pascal Brutal, un de mes personnages de BD. J’avais créé l’homme le plus viril de France. En 2005, dans Fluide glacial, je l’avais imaginé se rendant en Belgique où avait eu lieu un coup d’Etat militaire gynarchique, dont le gouvernement de femmes imposait aux hommes le port du voile anti-virilité.
Pour Les Beaux Gosses, il n’était pas imaginable de prendre des visages connus pour incarner les adolescents. Ils étaient vraiment mes propres Playmobil. J’aime les comédiens au visage uniques ; c’est rare. Les comédiens des Beaux Gosses, c’est très égoïste, mais ils sont à moi, nous sommes devenus des copains. Je n’imaginais pas ne pas les retrouver dans un autre film !
Je pars du principe que les garçons et les filles sont les mêmes et que l’on peut échanger les rôles pour voir les choses sous un angle différent. Une dictature militaire de femmes, il est intéressant d’observer le choc que cela crée : Pascal Brutal parlait de cela, de ce que l’on intègre culturellement et qui nous semble normal, mais qui ne va pas de soi. En renversant cet ordre, cela est remis frontalement en question. J’ai voulu transférer le pouvoir aux femmes pour s’interroger : à quoi ressemble notre monde quand on le regarde en sens inverse ?
Il ne faut pas y voir qu’une référence à la religion ! La séparation des sexes est le but central de cet élément vestimentaire. Il renvoie bien sûr au monde musulman, mais pas seulement : la couleur rappelle les toges bouddhistes, la forme des coupes rappelle le christianisme orthodoxe, ou même certains costumes masculins médiévaux… Toutes les sociétés patriarcales ont des codes vestimentaires très stricts qui séparent les sexes. Les hommes du royaume ne sont pas voilés, d’ailleurs, ils portent une « voilerie », une grande tunique, et ont un anneau sous le menton. Celui-ci est vide quand ils sont célibataires, et plein quand ils sont mariés. Ce vêtement a une signification politique : il suggère une uniformisation sociale. Plus une société a de libertés, plus l’excentricité est admise.
Absolument pas ! Je ne suis pas un masculiniste ! Je pense au contraire qu’il faut attaquer la virilité de l’homme : il faut la réduire, la déconsidérer. Cela m’obsède dans mes livres depuis toujours. Plus on sera fier que les hommes soient forts et musclés, plus le monde sera dans la merde.
Pascal Brutal est un abruti fini et musclé, en même temps, on peut avoir de l’empathie pour lui et le trouver touchant. Il faut montrer sa monstruosité et questionner cette masculinité qui semble aller de soi. Je rêve d’un monde où les hommes auraient des voix fluettes et détesteraient le foot.
C’est un ovule au milieu de tous les spermatozoïdes, et un seul réussira. Quand je pense à cet unique ovule, et aux millions de spermatozoïdes qui tentent leurs chances, je trouve ça très émouvant et triste. C’est une image de l’existence. C’est impressionnant d’observer en boîte de nuit ce phénomène se reproduire, avec tous ces mecs qui dansent autour de la même fille.
C’est un village qui s’appelle Tserovani, à une vingtaine de kilomètres de Tbilissi, construit en un mois suite à la guerre russo-géorgienne. Il accueille des populations déplacées qui ont fui l’Ossétie du sud et ne peuvent plus retourner chez elles. Les figurants du film sont tous des habitants du village. Ils connaissaient le scénario, traduit en géorgien, et certaines femmes du village ont mis des pantalons pour la première fois de leur vie, pour le film. Elles n’en revenaient pas et s’amusaient à donner des coups de pied au cul de leurs maris !
Je voulais une certaine vérité, des décors très réalistes, avec des vestiges du communisme et de très beaux paysages autour ; des sortes d’urbanités incongrues issues du totalitarisme. Le palais du film existe, il est situé à Gori, la ville natale de Staline, c’est le palais central, construit à l’époque de l’URSS. Et la scène du bal a été tournée dans la salle de réception du parlement géorgien. Il est plus compliqué d’inventer des décors et la réalité est souvent plus impressionnante. J’aime trouver des idées dans le monde réel.
Ce conte contient un mythe avec lequel on vit : le patriarcat. Cendrillon est très jolie, mais c’est uniquement en étant gentille et soumise qu’elle finira par attirer l’attention du prince. Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul prince charmant, mais plein de filles autour de lui ? Pourquoi est-ce que cet homme unique devrait être le seul à choisir ? Pourquoi choisit-il la fille la plus soumise, quand ses demi-sœurs sont plus affranchies et rebelles ? Jacky renverse les rôles et fait ressortir les questions du conte. Ils se marient, mais que va-t-il se passer après ? La fin est ouverte : où se situe-t-on en tant que spectateur ? Avec eux, ou avec le peuple et son mythe ?
Comme tous les réalisateurs du monde j’imagine, j’avais envie de faire un film inattendu ! Après Les Beaux gosses, j’étais obsédé par l’idée d’essayer de faire un film qui pourrait sembler « sans famille », ne pas savoir qui sont le père et la mère du film, comme si Jacky n’avait pas d’ancêtres de cinéma et venait de nulle part !