Extrait de la rencontre avec le réalisateur galicien Oliver Laxe qui a remporté hier soir le Grand Prix de la Semaine de la Critique avec son nouveau film, Mimosas, une œuvre d’une grande beauté, l’expérience spirituelle la plus prononcée de ce festival de Cannes.
Oui c’est un western, parce qu’on travaille avec le genre, il y a un récit très classique, très populaire, avec une caravane qui va d’un point A vers un point B et entre les deux, il y a des obstacles et des missions.
L’origine de ce film, c’est aussi de vouloir filmer un pays, le Maroc et sa nature. C’est le Maroc, mais c’est aussi le monde. C’est l’endroit où j’habite. J’avais très envie de connaître le sud du Maroc, j’étais à Tanger avant et je voulais marcher. Connaître la montagne et le désert. C’est stimulant pour un artiste en recherche de sens de s’entourer de beauté. Il est entouré de davantage de certitudes que de questionnements dans ces lieux. C’est aussi une continuité avec ma région d’origine, la Galice, où la nature est aussi très forte.
Non, je ne crois pas, ce n’est pas fuir, je n’ai pas de nostalgie à me dire que le passé était mieux. Ma manière d’être me demande de temps en temps d’être seul pour essayer de regarder de l’intérieur, de changer de miroir. C’est consubstantiel à la nature de l’être humain, aller au désert, à la montagne. Fuir le monde, c’est précisément rester à Paris ou Barcelone…
Non, justement, il y a quand même beaucoup de monde dans le désert, beaucoup d’enfants… En fait, tu marches, tu penses que c’est la fin du monde et tout à coup, tu tombes devant une école (il rit). C’est plus l’Europe qui représente la fin du monde aujourd’hui, ces villages et ces vallées dépeuplées, ces maisons vides…
J’ai travaillé au film, j’ai expérimenté, mon travail a été de penser à un film d’aventure. Je voulais faire une œuvre populaire, ne pas me réconforter dans une niche de cinéma d’auteur pour les festivals et les critiques. Je voulais ouvrir mon cinéma tout en conservant ce qui fait son âme, mais avec un besoin de clarté et un vrai besoin de spiritualité que je crois essentiel à l’artiste. La meilleure manière d’être responsable et de servir les spectateurs, c’est de croire à la stupéfaction et au mystère des images. J’avais ça en tête. Je voulais explorer la mystique musulmane et le cœur de l’islam. J’ai beaucoup sillonné : Maroc, Mauritanie, Sénégal, Iran, en passant par la Turquie, une grande plongée créative. Cela aussi pour légitimer ma parole.
J’ai compris que ces choses étaient déjà en moi dans ma famille espagnole et chrétienne, que le montagnard, par exemple, partageait les mêmes valeurs fondamentales. Que l’être humain en orbite avait les mêmes valeurs.
Si on sent le spirituel dans les paysages, il est aussi dans les visages. J’essaye de traduire ces sensations en termes d’images, de les relier, de les souder entre elles, en essayant de trouver une manière plus ou moins narrative, ou pas… Parfois les deux mondes ne sont pas reliés, le monde spirituel n’est pas narratif, lui. J’ai trouvé de très belles personnes, j’ai voulu partager ça. Elles ne sont pas réelles, mais ce sont des gens qui ont des cicatrices intérieures, fortes, avec lesquels on sent un cheminement possible pour guider une caravane au sens large. Et comme j’ai des amis si beaux, pourquoi prendre des acteurs ? C’est très logique, non ? (Il rit).
Oui, c’est cela et aussi avec toutes les conséquences que cela entraîne.
Je pense que le meilleur film de Herzog, c’est le livre qu’il a écrit : Conquête de l’Inutile. C’est une œuvre d’une poésie scandaleuse, c’est très très beau. C’est le geste de Herzog qui était très présent pour Mimosas, oui… Aujourd’hui, on ne peut pas faire ce type de film, il faut avoir des producteurs fous comme les miens ou suffisamment amoureux de moi (il rit) pour me permettre de faire un tournage comme ça. Je comprends les cinéastes, c’est difficile pour eux aujourd’hui de faire des films, car le cinéma est impitoyable si le film n’est pas réussi. Donc ils mesurent, ils calculent énormément, ce qui fait qu’à la fin, leurs films se ressemblent beaucoup. Et nous, au contraire, on cherchait les problèmes pour ne pas tomber dans la même relation. Nous nous sommes jetés dans le courant pour qu’il nous emporte.