Je ne me souviens plus trop. Je sentais que je pouvais tout me permettre avec Justine. Elle voulait par exemple que j’aie du rouge à lèvres voyant, assez tranchant, qui rend féminine tout en servant à affirmer quelque chose. Sur l’imaginaire, même si dans Victoria, il ne s’agit pas de sauver une vie, la figure de l’avocat m’a toujours fascinée, en commençant par l’histoire de Christian Ranucci dans Le Pull-over rouge, qui m’a traumatisée. J’ai lu plusieurs fois le livre de Gilles Perrault, et ceux de Robert Badinter sur l’abolition de la peine de mort, qui m’ont énormément marquée. Je me souviens très bien d’un passage où il parlait de la façon dont il était transfiguré dans le fameux procès avec Patrick Henry, où il a pris chaque juré, un par un, en disant quelque chose comme : « Quand vos petits-enfants vous demanderont ce que vous avez fait, vous devrez leur répondre et leur dire que vous avez coupé un homme en deux ». C’était à la fin de sa plaidoirie, et ses proches disaient : « On ne te reconnaît pas. » Il était, je pense, comme transfiguré. Les avocats se permettent des trucs comme ça pour choper l’attention des gens. Il faut que ce soit théâtral, qu’il y ait un instant magique, extraordinaire, pour que les gens n’oublient pas l’argument après. Quelque chose qui est préparé et qui se fait dans l’instant. C’est de l’ordre de l’acteur.
On se retrouvait quelques années après le téléfilm On m’a volé mon adolescence. J’adore tourner avec lui. Je dois dire que ce rôle était un peu en deux parties. Il y avait cet aspect assez mystérieux. Effectivement, dans la douceur. Et puis ça explosait vers autre chose. Un peu loufoque. Je partais avec le héros Léo, je couchais avec lui, parce que je voulais un enfant. Il y avait toute une scène dans la nature. C’est mon vrai regret. J’avais réalisé un rêve. Je la trouvais tellement belle, en même temps dans une drôlerie, une liberté de corps dans la nature. Je l’ai vécu un peu comme une amputation, même si Alain m’avait délicatement prévenue. Puis je me suis dit : c’est vraiment quelque chose qu’il faut apprendre au cinéma. Finalement, je suis hyper fière d’être dans ce film, que je trouve démentiel.
Je ne peux pas trop dévoiler ce qui va se passer, mais j’ai beaucoup plus de choses à jouer. Je suis très contente. Les scénaristes ont rééquilibré les rôles. C’est toujours les mêmes auteurs, menés par Fanny Herrero. Parmi les autrices, – je tiens à ce mot féminin ! –, il y a Cécile Ducrocq, réalisatrice de La Contre-allée, déjà présente sur la première saison, et Jeanne Herry (réalisatrice d’Elle l’adore), que j’ai connue au Conservatoire.
Oui, je suis comme un clébard, faut que je me sorte. J’ai besoin de me dépenser. Et j’aime ça. À une époque, je faisais des sports de combat. J’avais un peu une violence à évacuer ! Mais je ne pouvais jamais avoir de continuité, à cause des tournées. J’ai fait un peu de danse contemporaine. J’en avais fait au Conservatoire. Je cours en montagne quand je vais voir mon gars. Je fais du vélo. Ce n’est pas un effort, une contrainte. Mon angoisse, c’est que le corps s’affaiblisse d’un coup avec le vieillissement. Jouer au théâtre, c’est du sport. Surtout des spectacles comme avec Vincent Macaigne, où il faut beaucoup de souffle, parce qu’on est obligé d’aller à une vitesse extrêmement forte. Je me rappelle certains moments où je sentais le cœur, le palpitant bien à fond, et où on devait pousser la voix à fond. Comme des chanteurs d’opéra. C’est très physique. J’ai envie de pouvoir le plus longtemps possible ne pas être limitée par mon corps. C’est un instrument.
J’aimerais prendre plus le temps de l’entretenir, mais c’est vrai que je ne le fais plus trop. Je pense que je l’ai un peu abîmée. Sans doute parfois avec Vincent. Enfin, je ne sais pas si ça abîme, mais ça fragilise un peu. Disons que je suis plus fragile qu’avant. J’ai une voix assez solide. Ce n’est pas très grave, mais je sens qu’elle se casse, qu’elle se voile un peu plus vite.
Non. On m’en a déjà parlé, mais pour l’instant, je crois que je suis bien dans les histoires des autres. Ça me désinhibe parce que c’est pour quelqu’un d’autre. Si je décidais de faire quelque chose, je pense que je ne m’en sortirais pas. J’ai un esprit critique très très très fort, bon, comme plein de gens. Mais moi, c’est particulièrement puissant. Je pense que je me réduirais moi-même à néant ! Ça changera peut-être. Il y a des choses dont j’ai envie de parler. Mais il y a des gens tellement doués pour ça.
Oui. Ce sera à la FabricA, là où l’on avait fait Orlando ou l’impatience en 2014.
Oui, voilà ! Ça va être une création. C’est vraiment ce qui m’intéresse avec Olivier, jouer ses textes. Ça va durer huit heures, un gros spectacle. On va avoir trois mois de répétitions.
Oui ! Je pense que ça va être un très beau film. Pour moi, c’est une vrai rencontre avec Léa, qui a une détermination assez bluffante pour sa première expérience en long-métrage. J’avais adoré ses deux courts et j’ai été très touchée du super rôle qu’elle m’a proposé. J’ai aussi tourné Embrasse-moi d’Océane Rose Marie (Oshen) et Cyprien Vial (Bébé tigre). Une sorte de comédie romantique goudou ! Dans mes projets, je vais retrouver mon ami Nicolas Maury, pour son premier long-métrage comme réalisateur, Le Ramage et le plumage, dans lequel il jouera aussi. Et j’ai un projet, Martha, avec un mec qui s’appelle Jean Anouilh ! Il y a quelque chose qui m’excite pas mal dans ce premier long-métrage, entre western et film d’horreur. Et je fais du théâtre jeune public, mon cher !
Ah bon ?! Ça devait être Les Inséparables avec Léna Bréban, qu’on a créé au Théâtre Paris-Villette, et où je joue un petit garçon. Ce spectacle continue. J’aime le théâtre jeune public, alors que c’est assez méprisé, ça m’énerve. Avec les gosses, quand ça se passe bien, c’est génial, ils expriment tout. Des vagues d’enfants viennent embrasser les acteurs. Ce sont quand même les spectateurs de demain. Il n’y a pas beaucoup de place pour ça, pas trop d’argent, donc c’est mal payé. Mais bon. L’amour de l’art !
Il y a des choses en commun, dans le théâtre qu’on fait, que ce soit Vimala ou Laetitia. Dans comment on cherche, on travaille. Je connais moins bien Ariane. On doit toutes ne pas avoir été très petites filles, ne pas être limitées dans son corps, dans le sexe de son corps. J’ai plutôt fait des personnages très offensifs, un peu destructeurs, guerriers. Même physiquement. Ce que j’adore. Affirmer quelque chose qu’on me refuse depuis que je suis petite, symboliquement, qu’on est censé me refuser. Même si je peux le vivre. Je pense que pour les actrices, il y a beaucoup de ça, ne pas être enfermée. J’ai fait un jour un lapsus, j’ai dit pour décrire des moments forts de jeu : « Je me sens comme dans une transe mentale et dans une transe sexuelle. » Et j’ai entendu : « transsexuelle ». C’est ça, le jeu. Parfois, je pense à des actrices quand je joue. Je pense aussi très souvent à des acteurs hommes, dont Michel Serrault, une de mes passions. Je pense aussi beaucoup à Reiser. C’est un dessinateur qui m’a énormément marquée, avec ses personnages qui éclatent, qui font des gueules pas possibles, qui peuvent être atroces, mais qui n’en ont rien à foutre, du genre Monique, que j’adore. Parfois, j’ai une bulle de Reiser qui passe !