Elle est à l’offensive dans Les Combattants de Thomas Cailley. Elle est libre et amoureuse dans L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné. Rester à l’affût, être sur ses gardes, n’avoir peur de rien : Adèle Haenel, César du meilleur second rôle féminin pour Suzanne, est une actrice armée.
« J’ai grandi avec le cinéma d’animation et ce qui m’a donné envie de faire du cinéma, c’est Tex Avery. C’est génial, avec des gros traits. J’ai été très fan aussi de The Mask et de Jim Carrey. Le côté cartoon et abusé, la dimension burlesque, c’est pour moi la base du jeu. La caractérisation des personnages dans le dessin animé est très inspirante pour la mise en jeu du corps. J’aime cette réinvention du réel. J’aime le cinéma qui est dans l’imaginaire. »
« C’est d’abord une rencontre : faire confiance à un metteur en scène. La confiance qui surgit, ça a à voir avec la magie. Mais un rôle, c’est aussi un scénario : évoquer quelque chose. Le scénario dit un rapport au cinéma et il indique où est la place du jeu. C’est non seulement une histoire mais une promesse de cinéma ; comment le film se place par rapport au réel et comment il assume sa fiction. Jusqu’à présent, j’ai fait des rôles que je n’envisageais pas de faire et qui m’ont touchée. Je ne fantasme pas un rôle en particulier, j’attends un regard. Je pourrais aussi bien faire de la comédie, de l’équitation, ou jouer dans Tomb Raider. Ce n’est pas que je m’en fous, c’est que je ne sais pas encore ce que je veux jouer. Je me définis plus par ce que je n’ai pas encore fait que par ce que j’ai fait. »
« Dans ce métier, il faut aimer se voir et accepter d’être un personnage public, que l’on va regarder. Mais ce n’est pas l’essentiel. A partir du moment où j’ai dit oui à un metteur en scène, le contrôle de soi et de son image importe peu. Je suis dans l’élan. Dire oui, c’est consentir à l’abandon et se mettre à disposition; je ne veux pas contrôler la lumière. Cette confiance dans le metteur en scène est un truc assez doux, pas énervé. Une évidence. »
« J’adore jouer. Je joue à l’énergie et je mets de l’intime dans cette énergie. Cet intime n’est pas dans les émotions, qui sont plutôt de l’ordre de la transformation. J’essaie d’être extrêmement sincère quand je joue, pour atteindre quelque chose, pour que le spectateur ne voie pas une actrice en train de jouer. J’ai toujours du mal à sortir d’un film, non pas de mes personnages, mais du monde global de la fiction. De quitter le tournage et une équipe. C’est comme chausser des lunettes roses, puis des lunettes vertes : il faut un temps d’adaptation et d’accommodation. »
« C’est quelque chose que l’on revendique souvent a posteriori, pour se vanter, quand un film marche et que l’on est content d’avoir pris des engagements. Pour Les Combattants de Thomas Cailley, ce n’est pas le fait de prendre le risque d’un premier film qui m’intéressait, mais la profondeur de l’histoire, avec ces deux personnages qui cherchent à donner un sens à leur vie. »
« L’engagement avec le corps est primordial : c’est l’endroit de la prise de risque. Cela veut dire avancer avec ce que l’on est. L’important pour moi n’est pas tant d’être physiquement prête, pour me rassurer, mais je ne veux pas faire les choses à moitié. J’essaie, dans chaque rôle, de monter un peu plus haut sur le plongeoir pour sauter plus loin. Je veux que tout soit possible et ça ne m’intéresse pas d’aller vers ce que je connais déjà. Aller au bout d’un geste n’a rien d’évident. Avec André Téchiné, il y avait un travail de recherche, sur l’endroit où l’on allait emmener les scènes. Je l’associe à de la fragilité. »
« J’ai plein de combats, mais je ne veux pas apparaître comme une enragée ! Défendre le cinéma est l’un de mes principaux combats : mon premier engagement est artistique. Il rejoint mon autre cause, et c’est lié, qui est le féminisme. »
« Je ne veux pas m’endormir et m’enfoncer dans le canapé, ne rien inventer. Je n’ai pas envie de vivre juste avec que l’on m’a enseigné, ce que j’ai appris, mais de rester en lisière, au bord de ce qui va arriver. Il faut veiller à ne pas être trop confortable. Il faut toujours rester proche de la surface, comme un crocodile, les yeux au-dessus de l’eau. »
« Il faut être prêt à assumer qui l’on est, à aller au bout de ce que l’on représente comme liberté. Je ne prétends pas être tout le monde et chacun combat pour sa propre liberté et la prend en charge. »
