Les Portes du soleil – Algérie pour toujours est sorti le 18 mars dernier. Sur le papier, on a cru à une blague : un film d’action avec Lorie, Smaïn et Mike Tyson tourné en Algérie ! Impossible à monter ? Vérification faite, non, le projet était sérieux, produit en Algérie et tourné. Le réalisateur, Jean-Marc Minéo, était celui de Bangkok Fighter, film d’action sorti en 2008. Un cinéaste sportif de haut niveau, ancien champion du monde de kung-fu. Autant dire qu’il faut lui poser les questions qui fâchent avec des gants. Heureusement, l’homme n’est pas sans humour. Alors, Monsieur Minéo, « what the fuck ? », qu’est-ce que c’est que ce film ?!
Il y a dix ans, j’ai rencontré un jeune garçon en Algérie, un producteur exécutif qui avait une boîte d’événementiel. C’était avant Bangkok Fighter et on avait pour projet de faire un film en Algérie. Qui ne s’est pas fait. Quand Bangkok est sorti, ce garçon, Zakaria Ramdane, m’a recontacté. Il me proposait de faire le premier film indépendant algérien. Et même le premier film indépendant du Maghreb, puisque tout le reste, c’est du cinéma d’État.
J’ai fait ce constat que l’Algérie, le Maghreb, n’avait pas nos « héros » classiques, de James Bond à Mission Impossible… Souvent, quand il y a un Maghrébin au cinéma, il pose une bombe. J’ai voulu retourner les codes, montrer un beau garçon avec du style, qui sait se battre. Avec l’OAS en toile de fond…
Le budget est de 3 millions, dont 400.000 euros sont partis chez Tyson ! Pour ce qui est de l’Algérie, on est tombés sur deux vieux schnocks au ministère de la Culture, qui n’ont pas vu ce que serait le film… Alors que les Algériens sont friands de ça. Ce qu’ils téléchargent le plus, après le porno, ce sont les films d’action !
C’était chaud, on a cherché des sous partout, et ce sont des privés qui ont investi, chacun à leur niveau. Zakaria a tout pris sur ses épaules.
J’ai fait une avant-première le mois dernier à Alger. La nouvelle ministre de la Culture est venue nous féliciter… Elle était très étonnée qu’on ne nous ait pas aidés avant. Mais quand on est passés à la commission de lecture, on nous a dit que le film était anti-patriotique. Alors qu’on reprend juste les codes que les Américains utilisent quand ils sauvent le monde… L’armée et les services de sécurité intérieure, eux, nous ont aidés, directement. Il faut dire que le scénario leur faisait même un peu de pub. Ils étaient à fond avec nous, ils nous ont même passé des uniformes, des armes… Il n’y a pas d’aviation civile en Algérie, personne ne peut survoler le pays… Moi, je l’ai fait grâce à eux.
Je comprends très bien qu’on ne tourne pas là-bas, oui ! Mais il y a deux raisons à ça en général. D’abord parce que les gens ont peur d’aller en Algérie. Pourtant, si vous voulez mon avis, c’est beaucoup moins dangereux de s’y promener qu’en Seine St-Denis. Certes, il y a eu cette histoire terrible en Kabylie, mais ce sont des endroits où personne ne va. Et ce n’est pas du terrorisme, juste des bandits de grand chemin qui, selon l’occasion, se disent affiliés à untel ou untel. La deuxième chose, c’est qu’il n’y a pas là-bas de structure pour tourner des films de haut niveau, comme en Tunisie ou au Maroc, où on a pu tourner La Guerre des étoiles ou Game of Thrones. Comme ils ne font que du cinéma d’État, les gens se sont endormis, alors qu’il y a un énorme potentiel. Peut-être qu’ils attendaient un déclic… Certains ont dit qu’on était celui-là.
Les gens nous disaient que c’était impossible à chaque étape. Qu’on ne pouvait pas ramener Tyson à Oran, que les cascadeurs thaïlandais ne pourraient pas y travailler, qu’on n’arriverait pas à avoir à l’image le niveau de couleur que je voulais. On me l’a dit tous les jours. Même les Algériens ne croyaient pas en ce projet !
Tyson est arrivé assez tard. Je ne sais pas pourquoi, j’avais envie de l’avoir, alors j’ai appelé ses agents. Je ne sais pas pourquoi, peut-être que mon passé de sportif a joué, mais ils m’ont pris au téléphone, le scénario les a fait marrer. Ça a été une belle rencontre…
En Algérie, j’ai appris à faire un film avec deux mots. « Inch’Allah », qui veut dire « c’est pas ma faute » et « normalement », qui veut dire non. Du genre « on aura le décor demain pour la scène ? » « Normalement » : en clair; trouvez un autre décor. En Algérie, ils n’ont pas l’habitude de travailler comme nous, avec des horaires, des feuilles de service. Il n’y a pas de directeur de production, de chef costumier. Et puis il faut gérer les susceptibilités. Dans ce métier, on a l’habitude des ego… Mais avec les Algériens, c’est d’un autre niveau ! Il ne faut surtout pas se tromper d’un mot. Mais, il y a des côtés fantastiques : il n’y a rien d’impossible. J’ai tourné dans un aéroport, dans un airbus A320 d’Air Algérie avec 200 personnes sur le tarmac. On a tourné les scènes de la forteresse dans un site du XVème siècle…
Non, on n’a pas encore été piratés… Parce qu’on a dit clairement aux Algériens : « Ce film est le vôtre. Si vous voulez qu’il y en ait d’autres, alors il faut jouer le jeu ». Et ils jouent le jeu ! Les jeunes vont voir le film comme ils vont au stade voir leur équipe de foot, ils se le sont approprié.
Oui ! Même si le film marche difficilement en France, on a fait 400.000 entrées en Algérie sur deux semaines… Et sur deux villes ! Les infrastructures algériennes sont presque inexistantes ! On va maintenant partir à la rencontre des spectateurs avec un cinéma itinérant. Tous les retours sont positifs… On a même écrit que c’est la première fois depuis trente ans que les Algériens paient pour aller au cinéma ! Il y a des queues de 200m, des hordes de jeunes qui, pour une fois, ne piratent pas !
On me demande d’adapter mon film en série télé, où le héros vivrait des aventures variées… J’y réfléchis, parce que ça prend du temps, même si je sais qu’on ferait ça dans de meilleures conditions aujourd’hui. On a la confiance des investisseurs et de l’État.
Je prépare un autre film pour septembre, le deuxième projet que j’avais. Je suis parti à Los Angeles pour le faire. Ça s’appelle Le Soldat de Dieu et j’ai l’accord de Daria Ramirez, l’actrice de Devious Maids. C’est compliqué de trouver des financements, comme toujours. Mais j’ai comme l’intuition qu’une fois le financement acquis, il y aura une fluidité dans le travail qu’on n’a jamais eue en Algérie.
Je suis à part, par mes circuits de financement, bien sûr… Et puis par mon style. Le CNC, je leur fais peur, à la première page de mon scénario il y a trois morts : ils tombent à la renverse ! Quand Vincent Maraval parle des salaires des acteurs, bien sûr, il a raison aussi, c’est une réalité, mais pas la mienne. Moi, je ne passe pas en France, parce que mes films sont transgenre, des « ovnis ». Ce sont des a priori très français : si on ne rentre pas dans les cases, ça ne marche pas. Si en France on ne fait pas un film entre l’Irak et la Syrie, avec un homo sans papiers qui veut passer en Angleterre, on ne vous entend pas.
Je savais, bien sûr, les questions qu’on me poserait, tout ce qu’on me reprocherait. J’avais fait une liste ! Par exemple, les flashs du début, c’est un hommage à Man on Fire de Tony Scott. J’ai travaillé avec le mec qui avait bossé avec lui, avec toutes ses archives, mais on me le reproche. Peut-être que si j’arrive à faire ce film aux États-Unis, on me laissera tranquille.
Ce n’est pas une revanche, mais une façon de dire aux gens : vous voyez, vous feriez peut-être mieux d’être plus indulgents… Attendez de voir ce qu’on peut faire, on peut faire autre chose que des films avec des Noirs gentils qui poussent des handicapés, et ça peut aussi marcher, parce que les choses, et les gens sont plus compliqués que ça.