Depuis Bleu comme l’enfer (1986) d’Yves Boisset, les romans de Philippe Djian ne cessent de révéler leur cinématographie inspirante. Les lignes de « Oh… » (Gallimard), Prix Interallié 2012, tracent Elle, le scénario du nouveau Paul Verhoeven, film en compétition cannoise, avec Isabelle Huppert.
Je ne sais pas pour la première image ; je ne suis pas un cinéaste. S’agissant de la première phrase, elle est pour moi une alliée, une amie, elle me donne l’étincelle de départ, car je ne sais jamais où je vais aller. Dans « Oh… », la première phrase indique que le personnage s’est éraflé la joue. J’ai su qu’il s’agissait alors d’une femme, parce qu’un homme ne dira pas ça, plutôt qu’il s’est esquinté ou ouvert la joue. Avec ce vocabulaire précis, j’ai su qu’il s’agissait d’une femme et après l’histoire s’est enchaînée.
Je n’ai pas d’image non plus quand j’écris, j’ai plutôt l’impression d’entendre les scènes. Jusqu’aux deux tiers du roman, je n’avais même qu’une vague idée de mon personnage. Ce qui est incroyable, c’est que j’ai vu apparaître Isabelle Huppert quand j’écrivais. J’imaginais ce genre de femme, avec la même fragilité et la même densité. Je n’imaginais pas une actrice qui vampiriserait le personnage du livre, comme l’avait fait Béatrice Dalle avec 37°2 le matin.
L’adaptation me convient : le cinéaste travaille sur la même matière, le modèle ne change pas. J’aime l’idée que le metteur en scène se l’approprie et décide de son propre regard. J’aime l’idée d’un passage et que le cinéaste amène sa vision. Je crois que l’histoire est en dehors de moi et attend quelque chose. Quel intérêt a cette histoire, sinon dans la manière dont on va la regarder, le point de vue que l’on adopte ? Le succès de 37°2 le matin n’était pas celui de mon livre, c’était le succès du film de Beineix qui s’est totalement approprié l’histoire. Pour « Oh… » , le roman a mon style, mais le film a celui de Paul Verhoeven, incroyablement pointu. L’écrivain ne peut pas être trahi : le livre est un livre, pas un scénario. L’auteur est un emmerdeur pour le metteur en scène et si on enlève au cinéaste toute liberté, on obtient un film plat, sans âme, sans vision.
Je ne suis jamais allé voir un seul des films adaptés de mes livres en me demandant ce que le cinéaste avait bien pu en faire. Après, le film me plaît ou non, c’est une autre histoire. Dans Bleu comme l’enfer, je me souviens que je n’avais pas aimé entendre les dialogues du livre, mis tels quels dans la bouche des acteurs, sans réécriture. Les dialogues d’un roman ne sont pas faits pour être dits à voix haute, ce n’est pas du théâtre ni de la poésie destinée à être déclamée ; ils sont faits pour être lus. C’est une question de rythme, d’harmonie, d’homogénéité. Il faut un travail pour que cela devienne des dialogues joués par le cinéma.
Quand j’écris pour les autres, j’écris pour des gens. Cela se fait sur des rencontres. Luc Bondy était un ami. J’ai réécrit trois fois le scénario de Ne fais pas ça à cause des producteurs, mais on a pris beaucoup de plaisir et j’ai été heureux de l’écrire avec lui, ça a été un moment merveilleux. Depuis, j’ai écrit une grosse nouvelle pour Mathieu Amalric, mais ce n’est pas exactement un scénario. J’observe que le cinéma n’arrête pas de chercher dans les livres des scénarios, mais moi je ne cours pas après l’écriture de scénarios à balancer à tous les producteurs de la place de Paris ! Pour un écrivain, écrire un scénario est très contraignant.