Présent à Cannes pour recevoir le prix Angénieux qui récompense des directeurs de la photographie, l’Anglais Peter Suschitzky, succède à Philippe Rousselot, Vilmos Szigmond et Roger Deakins. L’artiste de la lumière, fidèle collaborateur de David Cronenberg, et auteur de la photo de Star Wars, épisode V : L’Empire contre-attaque et Mars Attacks! de Tim Burton notamment, évoque avec nous quelques moments clés de sa filmographie, et de la conception qu’il a de son travail.
En Angleterre, quand j’ai commencé très jeune, j’ai accepté un système extrêmement hiérarchisé. Il fallait passer dix ans en assistanat, comme premier assistant, puis comme cadreur et ainsi de suite. Et à 45 ans, vous pouviez peut-être avoir l’honneur d’être chef-opérateur. Mais j’acceptais le système qui imposait un cadreur et un opérateur. Et donc là-bas, ils ont trouvé ce titre terrible de Lightning Cameraman. Et je suis rétrospectivement plein de rage contre ce système qui veut que le cadreur puisse discuter des axes de caméra avec le réalisateur. Alors que je pense, aujourd’hui, que c’est le travail du directeur de la photographie, même quand il a un cadreur, qui doit s’en charger. D’ailleurs, c’est plus cohérent dans le système américain. L’opérateur décide avec le metteur en scène où mettre la caméra, le choix d’optique, le nombre d’axes… Je sais que l’Angleterre est le seul pays qui a cette expression : Lightning Cameraman, c’est-à-dire que le directeur de la photo ne faisait qu’éclairer. Je mettais souvent sur le générique le titre « photographed by ». J’accepte ce titre de directeur de la photographie aujourd’hui, mais je trouve qu’il est plein de suffisance. Il est un peu pompeux.
Pour La Bombe, c’est une erreur qu’on trouve sur Internet : j’ai travaillé sur d’autres films de Peter Watkins (Privilège, Les Gladiateurs), mais pas sur celui-là. Le film de Kevin était mon premier. Il a commencé à travailler dessus alors qu’il était très jeune, avec un collaborateur qui s’était spécialisé dans les uniformes allemands de la Seconde Guerre mondiale. Ils se sont amusés à tourner un faux reportage à Londres. Avec ce faux reportage, ils ont pu toucher un peu d’argent d’un producteur et metteur en scène très généreux et talentueux, dont on parle malheureusement peu aujourd’hui, Tony Richardson. Il était le plus important des producteurs indépendants de l’époque et a donné entre 6000 et 7000 Livres Sterling à Kevin. De son côté, Stanley Kubrick nous a donné des chutes de pellicule, qui nous permettaient de tourner une minute de film à chaque fois.
Oui, je le lis parfois sur Internet, mais je ne le comprends pas. Je ne me sens pas d’affinités particulières et puis je trouve que c’est un titre très facile. Peut-être que nous avons tous les trois osé faire des images sombres. Vous savez, quand j’étais jeune, en Angleterre, l’important était qu’on puisse voir les vedettes. « Mettez la lumière et le point sur l’argent », sous-entendu la vedette. Et puis, petit à petit, j’ai compris qu’on n’avait pas forcément besoin de tout voir en même temps. Un personnage peut être un collage de vues fragmentées en plusieurs plans, ce que le spectateur moderne comprend très bien.
La vie m’influence, mais je sais que c’est trop facile de répondre à votre question de cette façon. J’évite d’essayer d’imiter la peinture, même si c’est un art que j’adore. Je visite des galeries toutes les semaines, surtout quand je suis en voyage. La peinture n’est pas seulement l’éclairage, la lumière, il y a la touche du peintre qui se voit. Et le passage du temps. Notre moyen d’enregistrer les images est mécanique, en numérique ou en pellicule, il n’y a pas de touche possible. Il faut éviter les comparaisons. Mais comme j’adore la peinture, j’adore la musique, le vin et la lecture : tout me touche et tout m’influence, mais sans que je sache comment cela se retrouve dans mon travail.
Je ne regrette rien. Je regrette simplement que parfois on ait trop de choix dans les prises. Je tâche toujours de faire le maximum de mon travail devant l’appareil, sur le plateau. Le numérique permet beaucoup plus de flexibilité. On peut par exemple tourner à très basse lumière. J’adore ce que font certains collègues sur pellicule, mais je travaille désormais en numérique.
Je surveille de très près l’étalonnage. C’est essentiel, car, sans vouloir changer le caractère de ce qu’on a tourné, on peut améliorer l’image par petites touches. Je ne suis pas puriste, je ne suis pas un Cartier-Bresson. Pour moi, cela fait partie du travail de changer légèrement la forme de l’image, sans en altérer l’esprit, bien sûr.
C’était un package. C’était mon agent, qui, à l’époque, pensait que cela pourrait apporter quelque chose à ma carrière, en espérant que l’un ou l’autre m’emploierait à nouveau. Comme vous l’avez vu, cela n’a pas marché. Ce n’était pas très bien à mon avis. Je crois que celui de Tom Hanks était meilleur que celui de Tom Cruise.
Depuis cinq ou six ans, la télé devient un médium où on fait du bon travail. Mais ce n’était pas le cas autrefois. Il fallait travailler très vite avec peu de moyens. Je sais que les budgets ont augmenté, mais je ne suis pas sûr qu’un chef-opérateur télé ait autant de temps pour travailler qu’un confrère qui opère sur un film de cinéma. Même si le temps se réduit également au cinéma.
Ce qui est important, c’est l’idée. Hélas, pour parler d’After Earth, c’était un film intéressant à tourner, qui possédait de bonnes idées, mais je ne m’étendrai pas sur le résultat. Mais j’apprends toujours sur un tournage de film.
J’ai évidemment eu beaucoup de plaisir à travailler avec David Cronenberg ; chacun de ses films représente un véritable défi à tous points de vue. C’était stimulant, car il m’a laissé la liberté de faire ce que j’avais envie de faire. Je me sens gâté d’avoir pu tourner plusieurs fois avec lui.
Je me souviens des premiers jours, nous faisions des repérages en Norvège, en novembre, par un temps très agréable. Et quand nous sommes revenus en janvier pour commencer le tournage, nous nous sommes retrouvés coincés dans l’hôtel, paralysés par une tempête de neige. Nous avions une seconde équipe et notamment à Londres, pour laquelle j’avais choisi un opérateur encore méconnu mais très talentueux, Chris Menges
C’était un travail très agréable, l’un des plus agréables de ma vie. Albert Finney est un homme charmant, et puis nous avons eu un temps de tournage assez long, vue la modestie du projet en matière de production : douze semaines, c’est quelque chose d’impossible à imaginer aujourd’hui pour un projet semblable.