Shaun le mouton, vendredi 17 février à 20h45 sur CINE+ FAMIZ
Rencontre avec Peter Lord, réalisateur, scénariste, producteur
(Shaun le mouton, vendredi 17 février à 20h45 sur CINE+ FAMIZ et sur CINE+ à la DEMANDE).
Des décors, des personnages, des sculptures en pâte à modeler, des machines, des dessins, des carnets de croquis, des extraits de films, mais aussi plus de soixante courts et moyens-métrages : jusqu’au 30 août, « Aardman, L’Art qui prend forme » s’expose au Musée d’Art ludique à Paris. Rencontre avec Peter Lord, cofondateur du studio d’animation de Bristol.
Quand nous étions adolescents, avec David Sproxton, nous avions alors seize ans, nous avons commencé à faire de l’animation pour nous amuser. C’était pour le fun, mais nous connaissions quelqu’un à la BBC. À l’époque, elle proposait un programme télé pour les enfants sourds, Vision on. C’était forcément sans dialogues et l’émission disposait d’un tout petit budget. Les producteurs ne prenaient pas trop de risques avec nous et ce qui les intéressait, c’était que la proposition marche. On leur a proposé quatre ou cinq courts-métrages d’animation, dans différents styles.
Nous étions restés dans une animation assez traditionnelle, parce que cela correspondait à l’idée que l’on se faisait d’un travail professionnel. Cela nous paraissait la meilleure manière de faire la preuve de notre talent. Nous avons créé un super-héros, avec une longue cape. C’était parodique, une sorte de doublure de Superman. Nous l’avons nommé Aardman. Ce nom était une blague.
Non. Dans notre esprit, cela renvoyait à un animal d’Afrique du Sud, l’oryctérope du Cap, un mammifère fourmilier qui se dit «aardvark » en hollandais. On trouvait ça drôle, alors on a gardé Aard et on a accolé man pour évoquer Superman. Aardman ne veut rien dire, c’est vraiment né d’une blague de rien du tout.
Oui, bien sûr, nous appartenons à cette tradition de l’humour anglais, qui est connu pour son understatement, cette façon de décaler les choses… Mais le studio n’a pas toujours eu de grands succès dans son histoire, et après les cinq premières années, alors que nous n’avions pas de travail, nous avions même songé à changer de nom. On le trouvait stupide, un peu ridicule puisqu’il ne voulait rien dire, et puis voilà, finalement, on l’a gardé.
J’espère ! En tout cas, les gens le disent. Alors, bien sûr, on peut trouver que c’est un cliché, mais je crois que c’est important. Quand je vois des gens qui trouvent que la vie n’est pas délicieuse et drôle, je suis déçu ; je me dis qu’ils ont raté ou manqué quelque chose. Nous avons eu cette chance de faire ce cinéma d’animation, qui nous rend heureux et nous donne envie de rire, de ne pas prendre la vie trop au sérieux.
Il faut, pour vous répondre, que je vous parle de Nick Park, qui a inventé Wallace et Gromit. Il est un très bon exemple. Il a des problèmes d’adulte, comme tout le monde, mais il a le rire facile et quand il trouve les choses drôles, il est le premier à s’amuser, très naturellement, spontanément. Il met de la lumière dans votre vie et fait partager son rire. C’est exactement ce dont nous avons besoin pour notre cinéma, qui relève du jeu et non pas d’un projet intellectuel. Nous ne sommes jamais amers ni sarcastiques ou ironiques, mais dans une perspective toujours optimiste.
Une recette ? Mais on ne sait pas nous-mêmes d’où viennent nos films, les idées. Il y a toujours une part de mystère, sans explication, dans la création. Où aller, quand vous partez de rien, quand vous n’avez ni histoire, ni personnage ? Parfois, nous nous réunissons, parfois nous lançons des concours d’idées. Il nous arrive aussi de contacter des auteurs, dans notre quête d’idées magiques. Elles sont rares et ça n’arrive pas souvent.
On le sait, c’est tout. Cela ne s’explique pas vraiment. Cela relève d’une sorte d’intuition. Une grande idée n’est pas forcément une idée ambitieuse. Ce peut être quelque chose de très simple, de très court. Chicken Run, par exemple, est né de notre volonté de raconter une grande évasion, mais avec un poulet. Le film est devenu autre chose, avec une love story. Mais à partir de l’idée de départ, nous avons pu construire une histoire.
Le dessin est de la pensée non verbale. Nous le tenons pour essentiel, parce que le dessin requiert une attention particulière de l’esprit, une concentration qui est une sorte d’état méditatif. Le dessin sollicite plusieurs régions du cerveau. Pour cette raison, je n’écoute jamais de musique quand je dessine, parce que cela me distrait et me perturbe par d’autres informations sensorielles. Il me faut du calme et j’ai besoin d’être seul avec ma feuille de papier, mon pinceau, mes crayons, pour être totalement libre. Des histoires naissent des dessins. Ils permettent l’exploration de possibilités, la création d’atmosphères, de couleurs. Certains dessins sont très primaires, d’autres extrêmement sophistiqués.
Je ne peux pas dire que le studio soit l’aboutissement d’un rêve, car il n’a pas existé au départ. Il y a quarante ans, quand nous avons commencé, nous n’avions absolument pas le projet d’être la version anglaise de Walt Disney. Nous voulions bien sûr réussir, avoir une carrière, de la reconnaissance, mais nous n’étions pas animés de folles ambitions. Alors finalement, le studio est pour nous beaucoup plus qu’un rêve abouti : c’est le rêve que l’on n’a jamais osé faire qui est devenu réalité.