Remarqué et doublement primé sur la Croisette à la 60e Semaine de la Critique, le jeune cinéaste égyptien revient sur son expérience grâce à un quatuor de photos de son premier long-métrage.
Chez le vétérinaire
« J’adore Robert Bresson. Quand j’aime un réalisateur ou une musique, j’aime le montrer dans mes films et faire des hommages, un peu comme Quentin Tarantino. Ce qui m’impressionne chez Bresson, c’est sa manière de réfléchir au poétique. En tournant cette scène, j’ai eu l’idée de cacher les yeux de l’âne, parce que Bresson avait toujours pour habitude de cacher des parties des corps ou des détails, pour laisser le public imaginer ou penser plus loin, pour que les spectateurs complètent dans leur tête. J’ai discuté avec mon directeur de la photographie, Kamal Samy, sur le fait de laisser de la lumière sur les enfants, pour que nos yeux aillent sur eux comme s’il s’agissait d’une peinture. On observe également le corps de l’âne, très beau, et très sentimental. Il me rappelle Balthazar dans Au hasard Balthazar de Bresson, et j’aime les ânes. En plus des yeux cachés de l’animal, on ne voit qu’une partie des corps des enfants, on aperçoit une main à droite, et on ne sait pas ce qu’il y a derrière le rideau. L’image est remplie de signes, comme chez Bresson… »
Le repas de famille
« Cette image m’évoque le fameux tableau de Van Gogh, Les Mangeurs de pommes de terre. La scène tourne autour d’un récit. Le père raconte aux enfants et à la mère l’histoire du lait qu’il avait l’habitude de boire dans le passé, avec une petite vache élevée pour être traite en direct devant les consommateurs. Ce n’est pas une histoire vraie, mais il veut en rajouter face à sa femme. C’était drôle parce que le dialogue est vraiment absurde. L’image de la famille réunie dans le plan était forte. Après que nous avons filmé la scène, je me suis souvenu de la toile de Van Gogh. J’espère que certaines personnes du public feront également le lien. J’ai été très heureux après le tournage du film, parce que j’ai entendu des personnes évoquer le tableau à propos de cette scène. Je fais toujours des liens avec les beaux-arts, parce que je pense toujours à la photographie, à la peinture et aux arts en général, plus qu’au cinéma, quand il s’agit de visuel. C’est l’une des découvertes que j’ai faites en devenant réalisateur. »
L’actrice principale
« Cette photo représente pour moi tout ce qui est lié au jeu dans mon film. Je n’envisage pas le jeu du point de vue de la performance, parce que je ne travaille pas de manière classique. J’essaie toujours d’annuler le jeu et de créer plutôt une sorte d’atmosphère. Cette image incarne exactement la qualité de l’être humain qu’est le personnage, tout comme la qualité que l’actrice est en tant que personne dans la réalité. Mais la personne réelle est totalement différente du personnage du film. Dans la vie, Demyana Nassar est très bavarde, très présente, très active, mais elle a ces traits, ces yeux magnifiques, et un regard très profond, particulièrement dans cette scène. On peut observer chaque petite chose sur son visage. Il raconte tout ce par quoi son personnage est passé, est en train de passer et ce qui va se produire ensuite. Ce plan se trouve au milieu du film, au troisième acte, quand elle devient un peu plus active dans l’histoire. Je pense que le jeu, c’est trouver ce moment dans le regard où n’importe quelle chose peut être utilisée pour créer la dramaturgie, exactement comme chez Bresson. Je me souviens qu’il disait dans de nombreuses interviews que plus il travaillait à plat durant le tournage, au niveau des expressions des acteurs, plus il était impressionné au montage, en assemblant les plans. C’est exactement ce que j’ai découvert en faisant ce film. »
La fête d’anniversaire
« Si je peux considérer cette photo comme ma carte de visite, alors c’est moi ! Elle représente ma personnalité. On peut voir l’expression du personnage principal. La protagoniste est triste. On voit aussi l’absurdité et l’humour, les couleurs des ballons et du gâteau, et ces gens qui sont globalement heureux. Un homme applaudit, un autre chante, un autre est très drôle. On ressent l’intimité. J’ai beaucoup de contradiction à l’intérieur de moi. Je suis toujours souriant et j’essaie de transmettre de l’énergie aux autres. Je suis très calme, je suis un homme de famille, j’aime les gens, je n’aime pas le conflit, et mon attitude est toujours dirigée vers la paix. C’est pour cela que j’ai fait Plumes. Tous mes films sont universels. Je ne vois pas de différences entre les êtres humains. Je ne vois pas les nationalités, les genres, les couleurs de peau. Dans ce film, j’essaie de découvrir ce personnage, cette femme, qui n’est pas une héroïne. Elle n’est pas intéressante, elle est très passive, mais quand on creuse plus profondément, on voit une vie à travers son regard. On voit comment ce qu’on prenait pour acquis, comme quelques euros, qui pour nous ne sont rien, est pour elle une question de vie ou de mort. J’ai essayé de raconter une histoire très cliché – la survie d’une femme et de ses enfants – d’une manière très cinématographique. »
Propos recueillis par Olivier Pélisson