Six ans durant, l’ancien ingénieur du son devenu réalisateur Laurent Rodriguez, a filmé Sara Kontar, Ghaith Alali, Khairy Eibesh, Hasan Zahra, quatre jeunes Syriens réfugiés en France, quatre jeunes gens talentueux, qui ont appris le français en un temps record et tentent de trouver un équilibre entre deux rives. Le temps d’un week-end, ils se rassemblent à la campagne, dans la maison d’Emmanuel Charrier, l’initiateur et responsable du programme d’apprentissage du français à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où tous se sont rencontrés. Dans ce contexte convivial et chaleureux, favorable à l’écoute, leur parole se déploie, leurs pensées se tissent, leurs émotions s’expriment. Autour de l’exil, l’apprentissage, l’adaptation, l’émancipation, l’identité ou la liberté, leurs conversations nourrissent ce documentaire sensible et ouvrent nos consciences de spectateurs.
Pour BANDE À PART, partenaire de Même si tu vas sur la lune, le réalisateur Laurent Rodriguez a choisi et commenté six photogrammes du film, et nous éclaire sur sa conception.
« En chemin pour Lacanau où il doit parler à des élèves du collège, Hasan se prépare. J’aime beaucoup cette image. Quand je tourne seul, j’essaie de de saisir le moment, de capter ce que ressent la personne que je filme. Je cherche la bonne distance, la bonne focale, le bon angle. J’essaie d’entrer en résonance avec le personnage. J’attends le geste, l’éclat, l’accident, l’inattendu, l’instant vrai. Un tunnel. Le reflet d’Hasan apparaît. Il le regarde. J’ai cette émotion, cette sensation. Il s’est passé quelque chose. Je l’ai capté. Je viens de voir un fragment du film. »
« Fabriquer les séquences d’animation avec Sara a peut-être été la partie la plus délicate. Pour choisir les souvenirs de Syrie que nous allions raconter, nous avons beaucoup parlé, beaucoup cherché. Nous les avons transcrits en de courts synopsis, que j’ai storyboardés de façon très schématique, avec peu de traits. Ensuite, Sara, assistée de Fanny, Clarisse et Marion, a donné vie à ces souvenirs comme on le faisait avant le numérique. Chaque fraction de mouvement est un dessin. J’étais impatient de voir chaque séquence apparaître. Mais nous avons pris le temps nécessaire, car nous avions la sensation de travailler un vieux parchemin, très fin, très fragile. Je voyais chaque dessin comme un morceau de mémoire que nous tentions de sauver de l’effacement. »
« Lorsque j’ai préparé le tournage du week-end dans la maison d’Emmanuel, je savais qu’il s’agissait de la colonne vertébrale du film. Avec le chef-opérateur, Antoine Sanier, nous avons étudié les différentes approches. J’ai choisi de tourner avec plusieurs caméras sur pied. Cela présentait deux avantages : nous pouvions composer plusieurs cadres à l’intérieur desquels les personnages pouvaient bouger, vivre, s’exprimer ; et cela m’a permis de fixer l’équipe à un endroit, de limiter ses mouvements pour la rendre la moins perceptible possible. Je voulais que la parole de Sara, Hasan, Ghaith et Khairy soit la plus libre possible. »
« Sara prépare son portfolio pour le concours de l’École des Arts Décoratifs. C’était le début du tournage. Nous apprenions à nous connaître et je sentais bien que c’était étrange pour Sara d’être filmée dans son quotidien, quelques mois seulement après son arrivée en France. Je lui ai demandé où elle allait s’installer et elle m’a montré le sol. Je me suis assis par terre avec la caméra et j’ai trouvé le cadre presque tout de suite. L’écharpe qui tombe du fauteuil, l’amorce de la bibliothèque, sa position devant son carton à dessin, la cheminée au fond de la pièce. J’ai filmé longtemps, absorbé par cette composition et par la lumière de cette fin d’après-midi. À chaque tournage, j’espère, j’attends ce genre de moment. Ce que doit faire Sara à cet instant peut raconter une partie de l’histoire que nous écrivons, peut receler la beauté. Nous espérons ensemble que cela adviendra. »
« Cette séquence, tournée chez Joseph, un ami proche de Ghaith, est un de mes meilleurs souvenirs de tournage. La chambre étudiante est minuscule. Ils sont trois. Les murs sont tout blancs. Je me dis que ça va être difficile. Et pourtant… Je leur ai simplement dit que je voulais filmer une soirée habituelle. Après quelques minutes, ils n’ont plus fait attention à moi. La vie s’écoulait devant la caméra. Un bref regard de Joseph dans ma direction lors du lapsus de Ghaith souligne que nous sommes ensemble, que ce moment est un partage. Leur étonnement d’être en France, leurs souvenirs des parfums et des saveurs de Syrie, leurs rires… Cette séquence est un cadeau. »
« Malgré les cours, malgré sa jeunesse et son énergie, malgré les amis, Hasan passait beaucoup de temps seul. Je l’ai filmé plusieurs fois dans sa petite chambre de Ménilmontant. J’aime beaucoup les images de ce soir d’été. L’année universitaire est terminée. La résidence est déserte. Les images me sont apparues lorsque le soleil s’est couché. Je les ai ensuite cherchées avec la caméra. C’est une sensation rare qui provoque une certaine griserie. La poursuite d’une beauté qu’on pressent, qu’on devine. Je sentais que je devais juste être présent, ouvert et accueillir ce que l’instant m’offrait. »