Le Syndicat Français de la Critique de Cinéma récompense L’Homme d’Argile.

Entretien avec Anaïs Tellenne

Le très bel Homme d’Argile, premier long-métrage d’Anaïs Tellenne, reçoit aujourd’hui le Prix du Film singulier francophone, décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Nous avions été enchantés par ce film et ce magnifique personnage incarné par Raphaël Thiéry (la critique est à relire ici). Ce prix est donc l’occasion de s’entretenir avec sa réalisatrice pour parler de son lien avec la critique de cinéma et faire un point d’étape, un an après la sortie du film en salle.

Que représente pour vous ce Prix du Film singulier décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma ?

J’adore le mot « singulier » parce que je pense que c’est exactement à cet endroit-là que je cherche à faire du cinéma, à construire mes personnages. Quand j’étais ado, je regardais beaucoup l’émission belge Strip-Tease, ça m’a fait voir la vie d’une autre façon. C’est dans la singularité que se dévoile l’universel d’une personne, dans sa façon de manger, de penser, de marcher, de se vêtir, dans ses habitudes.
Pour L’Homme d’Argile, j’ai vraiment travaillé à partir du singulier, en fantasmant un monde qui décolle du réalisme, en représentant l’intériorité du personnage.

 

Le prix est remis par des critiques de cinéma. Quel rôle la critique a joué dans le parcours du film ?

Je pense que la critique a été extrêmement porteuse, une alliée du film. Nous avons été très accompagnés par certains journalistes. Le mercredi de la sortie, je me souviendrai toute ma vie de Laurent Delmas, qui fait une chronique surprise dans la matinale de France Inter. Comme c’était mon premier film, j’avais une peur panique de la critique, car je ne savais pas comment il allait être accueilli. D’un coup, je me suis sentie comprise et portée.

Est-ce que le film a été perçu différemment par les critiques des pays où vous êtes allé le présenter ?

Je n’avais jamais autant voyagé en une année et j’ai été bouleversé par le fait de rencontrer des cultures via le film. Surtout, la perception était différente selon les pays. On ne me disait jamais la même chose. Dans les critiques, c’était assez flagrant. Par exemple, en Grèce, les journalistes étaient très attentifs aux mythes. On m’a énormément parlé de Galatée et Pygmalion, où l’artiste tombe amoureux de son œuvre, mais aussi du Golem. En Corée, il y avait pour eux quelque chose d’extrêmement français dans le film. On est en voiture, tout d’un coup on va faire l’amour dans la forêt comme des petits fous, et puis tout redevient sérieux et très romanesque. Ça faisait très français pour eux !

La critique a-t-elle un rôle important dans votre vie de spectatrice ?

Les critiques ont une importance démesurée dans ma vie quotidienne. Je me nourris énormément d’articles, de podcasts et d’émissions que je peux entendre. Ils m’aident aussi à regarder les films différemment. Parfois, on n’arrive pas à se formuler exactement ce qu’on a ressenti : il y a quelque chose qui m’a ennuyé dans le film, un élément qu’on n’a pas très bien compris ou, au contraire, qu’on a adoré. Je trouve que c’est toujours hyper intéressant et pertinent quand certains grands et grandes de la critique ont des mots très justes. Je suis boulimique de ça, à tel point que mon conjoint n’en peut plus !

Qu’est-ce qui vous revient en pensant à la sortie du film ?

Le destin de l’Homme d’argile est assez étrange. C’est un film que nous avons eu beaucoup de difficultés à financer parce qu’il est très atypique, les gens avaient du mal à se projeter dans cet univers. C’est un conte où la comédie laisse place au romanesque, et je pense que ça a un peu perdu tout le monde. On a fait le film avec un budget de moins d’un million et en même temps, ça m’a permis de montrer le type de cinéma que j’avais envie de faire, mon équation étrange. J’avais aussi très envie de faire un film qui soit un dialogue permanent avec celui ou celle qui le regarde, qu’il y ait la place de projeter dans cette histoire ses propres interrogations et ses propres fantasmes. Je suis contente, car le public a été vraiment présent. Il y a eu beaucoup de festivals et on a reçu plusieurs prix du public. Le film est sorti seulement sur 50 copies, mais on a fait 50 000 entrées, c’est super !

En quoi l’aventure de ce film vous a changé ?

Ça m’a confortée dans l’idée que j’étais à ma juste place. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre dans ce monde. J’ai mille choses encore à raconter et j’ai vu que le cinéma est un vecteur de liens sociaux et de dialogues extrêmement puissants. Que ce soit les tournées en région ou en le montrant dans d’autres pays, les gens ont livré des choses très personnelles à ces débats, des questionnements autour de l’amour, du regard qu’ils se portent sur eux-mêmes et sur les autres. Ça m’a fait beaucoup de bien et ça m’a inspiré. J’ai très envie de continuer ce dialogue.

Qu’est-ce qui arrive maintenant ?

Mon prochain film sera en anglais et se passera en 1930 au bord du Loch Ness. Je comprends aussi que le cinéma qui m’intéresse est moins réaliste que ce que n’aime la tendance en ce moment. J’ai envie de faire des films qui s’approcheraient plus de Benjamin Button, ou de La Forme de l’eau. Je veux creuser cet univers fantastique, proche du conte, en n’oubliant pas l’humour et la trivialité, avec un mélange de poésie et de romanesque.